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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

Je me sens, quant à moi, beaucoup moins d’estime pour M. Lecamus depuis qu’il a écrit en face de ce pauvre Théophraste, torturé sur son lit de sangle : « Nous n’étions pas au bout de nos peines. »

Enfin, s’il fallait m’en dégoûter tout à fait, je crois bien que je n’aurais qu’à analyser subtilement, mais sûrement, la façon dont il nous rapporte « le phénomène des cheveux ». À un moment de l’opération, pendant la torture, qui durait beaucoup plus que l’histoire officielle de Cartouche n’eût pu le faire supposer, ce qui prouve, entre parenthèses, qu’il ne faut ajouter qu’une foi médiocre aux histoires officielles, Théophraste ne criait plus. Et cependant on le torturait avec plus de cruauté que jamais, puisque quelques mots qui lui échappaient apprenaient à ceux qui l’entouraient qu’après lui avoir tenaillé aux fers rougis les mamelles et le gras des bras, le bourreau versait dans les blessures vives du plomb fondu et de la poix-résine[1]. Théophraste alors ne criait plus, mais on vit ses cheveux blanchir.

Eh bien ! si M. Lecamus a rapporté avec méchante humeur les cris insupportables poussés par Théophraste, il s’est quasi-complu à décrire le blanchissement des cheveux. À le lire, on voit bien que ce blanchissement le dérange beaucoup moins que les cris, et cependant il ne devait rester rien des cris après l’opération, tandis que les cheveux de M. Longuet étaient devenus blancs pour toujours. « Ils ont commencé à blanchir par les tempes, dit M. Lecamus, ce qui est naturel, mais nous ne nous en aperçûmes que lorsque la moitié de la chevelure était déjà blanche. Ce phénomène capillaire est

  1. Trente-six ans plus tard, en 1757, on fit subir absolument le même supplice à Damiens (Procès de Damiens) qui, de plus, fut écartelé.