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LA DERNIÈRE POIGNÉE DE MAIN DE CARTOUCHE

mort, j’ai caché le Document et je n’ai plus revu personne. Quand je rouvre les yeux (je les avais donc fermés et j’étais sans doute tombé, en les fermant, en quelque faiblesse semblable à la mort), je ne reconnais d’abord aucun des objets qui m’entourent, et j’ignore le lieu dans lequel on m’a transporté. Certainement, je ne suis plus dans la salle de la torture, ni dans mon cachot de la tour de Montgommery. Suis-je seulement encore dans la Conciergerie ? Je sais que non. Où m’a-t-on enfermé ? Après la torture, en attendant mon supplice dernier, en quelle prison nouvelle m’a-t-on jeté ? La première chose que je distingue est une lueur bleuâtre qui filtre en face de moi, au travers des barreaux épais et rapprochés d’une grille. La lune vient me visiter. Elle descend deux ou trois marches. Je tente de faire un mouvement, mais je ne puis. Je suis une chose inerte. Ma volonté ne commande plus à mes membres, ni à aucun de mes muscles. C’est comme s’ils avaient coupé toute relation entre ma volonté et ma chair. Mon cerveau n’est plus maître que de voir et de comprendre ; il n’est plus maître d’agir. Mes pauvres membres ! Je les sens épars autour de moi. J’ai dû atteindre à un degré de souffrance tel que je m’explique ainsi que je ne souffre plus. Mais où suis-je ?… La lune a descendu encore deux marches, et puis deux marches encore… Ah ! ah ! qu’est-ce qu’elle éclaire, la lune ? Elle éclaire un œil, un grand œil. C’est un œil énorme et profond dans lequel un corbeau, après l’avoir vidé d’un coup de bec, pourrait déposer son œuf. Mais l’œil est vide ; mais le grand œil est vide, et l’autre œil, à côté, qui est aussi éclairé maintenant, est encore recouvert de sa paupière verte. Je vois toute la tête. Elle n’a plus de peau sur les joues, mais elle a de la barbe au menton. La lune avance avec précaution ; elle s’arrête tout dou-