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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

» — Évidemment, mais emportez-moi, car z’ai les zambes dans un état…

» M. de la Nox, que nous regardions, ne put retenir un sourd gémissement. Il eut enlevé le pantalon et les bottines de Théophraste en un tour de main : le caleçon fut ouvert avec des ciseaux et les chaussettes elles-mêmes jonchèrent le carreau. Alors ! Oh ! alors !… quel spectacle affreux ! et quelle douleur nous étreignit à la vue des malheureux membres de mon ami ! Les jambes et les pieds de Théophraste étaient en bouillie. La chair était arrachée par endroits et, en d’autres, horriblement meurtrie. Les mains tremblantes de M. de la Nox écartaient les vêtements qui recouvraient le thorax de ce pauvre Théophraste et, là aussi, nous vîmes, aux seins, deux sanguinolentes taches noires. Les biceps, que nous examinâmes, portaient également les marques fraîches de l’épouvantable torture[1]. Théophraste considérait ses jambes et ses bras et ses seins avec curiosité. Mme Longuet s’abattit sur sa poitrine en sanglotant ; quant à moi, je fis un geste qui menaçait le Destin et je courus chercher une voiture.

» Quand je revins, Mme Longuet pleurait toujours, Théophraste n’avait pas cessé de se plaindre de picotements aux jambes et demandait ce qui lui était arrivé

  1. L’expérience suivante a été faite souvent à la clinique du docteur Charcot. On endormait un sujet : on lui appliquait sur la peau du ventre un cercle de papier et on lui suggérait l’idée que ce cercle était un vésicatoire. Immédiatement, tous les effets du vésicatoire se produisaient. La peau rougissait et se soulevait en forme de cloches remplies d’eau. Ainsi, pour Théophraste, endormi du sommeil de l’hypnose, et vivant la torture de Cartouche, tous les effets extérieurs de la torture se produisent et les chairs apparaissent, en réalité, meurtries. Et c’est le Rêve qui a meurtri la Réalité ! Ceci ne prouve-t-il point qu’il n’y a qu’une chose qui est : Le Rêve, c’est-à-dire l’Idée ? À rapprocher de ce fait les stigmates apparus aux mains, aux pieds et au flanc des saints et des martyrs.