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UNE TÊTE À LA PORTIÈRE

préciable. C’était une tête aux cheveux crépus. Elle baissait le nez ; la cravate, autour du faux-col d’une blancheur éblouissante, était dénouée et flottait au vent. En approchant davantage, les hommes aperçurent de la peinture rouge sur le panneau de la portière.

Enfin, enfin, quand ils furent tout près (ils n’allaient qu’assez lentement, à cause du cadavre du chef de gare), ils eurent la vision de l’effroyable réalité. Cette peinture était du sang, et si l’homme avait la tête à la portière, c’est qu’il avait la tête prise dans la portière. Elle ne tenait plus que par un lambeau. Cet homme, ce malheureux homme avait dû ouvrir en cours de route la portière, pencher la tête au dehors, et la portière s’était brutalement refermée sur son cou, le décapitant, ou presque ! Les deux équipes, voyant cela, hurlèrent encore, déposèrent le cadavre du chef de gare, firent le tour du fourgon, dans lequel il n’y avait personne, et, ouvrant une autre portière du wagon, constatèrent que ce wagon était vide, sauf l’homme qui avait la tête prise dans la portière et dont le corps, à l’intérieur du wagon, c’est-à-dire dans le couloir, était tout nu !

La nouvelle de tant de fantastiques horreurs se répandit immédiatement dans les villages à la ronde. Et une foule énorme, toute la journée, encombra les quais de la petite station A. Des chefs vinrent de Paris. Non seulement on ne put s’expliquer, ce jour-là ni les jours suivants, la mort de l’homme tout nu qui avait la tête à la portière, mais encore on ne retrouva ni le train ni les voyageurs. On ne parla que de cette étrange affaire aux obsèques du chef de la station A, qui furent tout à fait solennelles ; et même dans toute l’Europe ; aussi en Amérique.