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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

M. Longuet me raconta l’histoire d’une disparition de train et d’une réapparition de wagon qui est bien la plus fantastique que j’aie jamais entendue. Cet homme avait voulu faire disparaître un train entre A et B, en le lançant, par le moyen d’un faux aiguillage, sur la voie du garage hi, et il l’avait attendu en K ; or, le train n’était venu ni en A ni en K, c’est-à-dire ni pour lui ni pour personne. Ensuite, un wagon lui était apparu en K ; après quoi, ce wagon lui-même avait disparu. J’aurais pu croire que cet homme, vu son passé (le passé de Cartouche !) et ce qu’il me racontait présentement, était fou, s’il ne s’était exprimé avec la plus grande logique et s’il ne m’avait donné les détails matériels les plus certains sur l’aiguillage et sur tous les faits de la cause.

» Enfin, il est d’expérience qu’un fou comprend toujours. Or, lui demandait à comprendre. Je le priai de répéter cette histoire. Il se tut. Deux fois, je réitérai cette prière, et il continua de se taire. J’allais m’impatienter, quand, se rendant compte que je l’avais prié de quelque chose, il me confia que, par instants, il était sourd. Cette infirmité passagère lui venait de ce que, m’a-t-il dit, un M. Éliphas de Saint-Elme de Taillebourg de la Nox lui avait, pendant son sommeil, versé de l’eau chaude dans les oreilles.

» Bientôt, ses oreilles ayant repris leur service accoutumé, nous revînmes au problème du train. M. Longuet me dit qu’il préférait mourir dix fois au fond des catacombes plutôt que d’en sortir une seule, s’il en sortait sans savoir ce qu’était devenu son train. « Je ne veux pas, ajouta-t-il, perdre ce qu’il y a de plus précieux au monde : la Raison. »

» — Et quand cela vous est-il arrivé, dis-je, car enfin, moi, je n’ai pas entendu parler de cette disparition de train ! Et ça devrait se savoir.