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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

d’une tunique légère mais opaque, survint sur la berge, tenant en ses bras un peignoir et tournant vers nous un identique groin rose.

» La Vénus vint vers sa compagne à la rive et sa compagne dit :

» — Ils se taisent tous cois ni nul ne sonne mot.

» La Vénus paraissait courroucée. Elle dit :

» — Ha ! saincte Marie ! n’auront nul pardon ! Véez !

» — Oïl !

» — C’est fol outrage !

» — Oïl !

» — Finablement ! Bien véaient ! sont traitours !… Je vous cuidais encore en ma compagnie. Ha ! saincte Marie !… De nos gens savez-vous nulles nouvelles ? Allez voir que c’est ni quelle chose ils font ! Je le veuil !

» Depuis que le sort m’avait précipité en le trou des catacombes, je m’étais efforcé de ne m’étonner de rien et de me préparer à tout. Qu’un lac se fût présenté à mes regards, quand j’espérais un mince filet d’eau, que des canards se fussent ébattus à portée de ma main quand je n’osais entrevoir pour le contentement de ma faim que le repas un peu maigre des chétifs asellides ; qu’une femme, plus belle de dos que toutes les femmes imaginées par le rêve des sculpteurs, se fût dressée pour mon éblouissement, sur la rive moussue d’une pièce d’eau des catacombes, à l’heure de son bain ; que cette femme, s’étant retournée, au lieu de m’exhiber le visage humain, me montrât un groin rose dépourvu d’yeux, mon Dieu ! tout cela, tout cela pouvait s’expliquer, mais que cette femme, avec son groin rose, parlât le plus pur français, la plus pure langue d’oïl du commencement du quatorzième siècle, oh ! cela ! cela était tout à fait extraordinairement étourdissant !

» Comme je pensais que Théophraste ne s’étonnait