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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

chose si avant, et finablement, elle s’étant endormie, je me partis de sa chambre et ouvris l’huis…

» … Certainement, je serais resté huit jours de plus en la ville (nous y restâmes trois semaines, et nous y serions encore si je n’avais été sculpteur) que je n’aurais pu désormais me servir d’une autre langue que celle du commencement du quatorzième siècle, qui est la plus belle du monde. Mais il faut savoir se reprendre, ou alors on n’est qu’un pauvre sire, triste jouet du destin.

» L’événement était, en somme, si exceptionnel que je brûlais du désir de l’approfondir. Nous n’avions eu encore le temps de rien voir de la ville, tant ils avaient mis de hâte à nous entourer, nous exhiber, nous gaver et nous mettre en notre couche. Théophraste s’était conduit de telle sorte, pendant le repas, mangeant de tout avec excès, qu’on avait dû l’emporter, ce qui avait été fait selon les ordres et desseins de la damoiselle de Coucy, laquelle, je le crains bien, n’aura point fait pour lors ses frais de galanterie.

» L’électricité, toujours à cause de cette insupportable odeur de lumière, nous ayant été interdite en public, je fus bien aise de me trouver à cette heure, tout seul, dans les rues, ayant fui la couche de volupté pour juger des choses posément, après les avoir éclaircies.

» Ce qui me frappa d’abord, ce fut que les maisons n’avaient point de porte et que toutes les boutiques étaient ouvertes au passant. Les objets les plus précieux et aussi les plus ordinaires se trouvaient à portée du premier voleur venu, d’autant plus que je n’aperçus nul gardien dans ma promenade. Je me dis : « Voilà une ville où la police est tout à fait mal faite. Mon passage en ce lieu sera peut-être de quelque utilité. »

» Puis, l’artiste reprenant le dessus sur le commis-