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COMME IL N’EN EXISTE PAS SUR LA TERRE

sa tête, mon ami passait pour un fol, pour un pauvre malheureux triste fol.

» — Cette plaisanterie a trop duré, fis-je, croyez-en un commissaire de police qui a pu se rendre compte souvent, par lui-même, de la nécessité des lois.

Dame de Montfort me demanda à quoi servent les lois. Je lui répondis :

» — À trois choses : il y a les lois qui protègent l’État ; il y a les lois qui protègent la propriété ; il y a les lois qui protègent l’individu !

« Dame de Montfort me répondit qu’il n’y avait pas besoin de lois chez eux pour protéger l’État, puisqu’il n’y avait pas d’État, ni pour protéger la propriété, puisqu’il n’y avait pas de propriété ! Je l’attendais aux individus.

» — Oui, mais vous avez des individus ?

» — Oïl ! répondirent-ils tous.

» Mais, dame de Montfort me fit entendre, dès que je lui eus parlé des conflits entre les individus, que ces conflits, d’après ce que je lui avais dit, naissant de la propriété, du moment qu’il n’y avait plus de propriété, les conflits n’existaient plus. Pourquoi avoir des lois qui auraient protégé des individus qui n’ont pas de conflits, puisqu’il n’y a pas de propriétés ?

» J’étais tellement abruti que je répondis :

» — Oïl !

» Quant à Théophraste, il était là, planté devant moi avec ses chapeaux. Lui, il avait compris. Il déposa les chapeaux où il les avait pris et dit :

» — Pour sûr, ce n’est pas la peine de voler puisque je peux repasser demain.

» Je me sauvai dans la chambre de dame de Montfort, car je sentais ma cervelle fuir de toutes parts. Ma petite amie m’y rejoignit et me pria de ne point me