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LE DERNIER GESTE…

pas jeter ces morceaux à la berge du Petit-Pont, sans une raison sérieuse !

Théophraste avait eu une raison sérieuse de découper. Elle lui était venue du fond des siècles. Telle la tunique de Déjanire dévorant Hercule, la chemise d’Ambroise l’avait brûlé d’un criminel feu. Il avait revêtu en même temps qu’elle l’âme de Cartouche. Il avait senti passer en ses veines la flamme séculaire du meurtre, car cette chemise avait été lavé au lavoir de la rue du Pont-aux-Choux ! Ce lavoir s’élève à l’endroit même où naquit Cartouche !

Oui, le geste de tuer lui était revenu du fond des siècles, le même geste qui lui avait fait découper deux cents ans auparavant sa femme infidèle, Marie-Antoinette Néron, et pour en jeter les morceaux au Petit-Pont de l’Hôtel-Dieu !

Je vous dis, moi, qu’il ne faut point sourire de cette explication exorbitante. Que MM. les juges y songent ! Bien des crimes qu’ils ne comprennent point, mais qu’ils condamnent tout de même, apparaîtraient moins obscurs si l’on faisait comparaître sur les bancs de la cour d’assises ce complice qui se cache au fond des siècles !

Théophraste était le plus doux et le plus tendre des hommes, et cependant il tuait ! Mais il en avait bien du regret après. Ne disait-il point à Ambroise qui le soignait à son lit de mort : « Plains-moi, mon ami, plains-moi de tout ton cœur, car j’ai été un peu vif avec ma femme !… »

Non, non, il ne s’expliquait point une si rude vivacité, et il en avait un remords qui le conduisit en quelques semaines à la tombe. C’était le remords de l’acte d’un autre, cependant… Pourquoi, ah ! pourquoi, la nature nous fait-elle expier les crimes d’il y a deux cents ans ?

Pauvre Théophraste ! À cette heure où tu vas retour-