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CHOSES DÉSAGRÉABLES

parut même étrange au plus haut point qu’un homme qui faisait profession de spiritisme s’étonnât ainsi de se trouver en face d’un bourgeois sain de corps et d’esprit, lequel prétendait avoir eu une existence certaine deux cents ans avant de renaître. Il me répondit que ma conduite au repas de la veille et les phrases incompréhensibles que j’avais prononcées devant lui depuis notre visite à la Conciergerie étaient bien faites pour le préparer à une aussi exceptionnelle confidence, mais enfin qu’il ne s’y attendait pas, que je l’en voyais tout interloqué et qu’il serait heureux de toucher du doigt les preuves d’un tel phénomène.

» Je sortis mon document. Il ne put en nier l’authenticité et reconnut mon écriture. Cette dernière constatation lui tira une exclamation dont je voulus connaître toute la raison. Il me répondit que mon écriture sur un document datant de deux siècles lui expliquait bien des choses. Quoi encore ? fis-je. Il m’avoua alors avec une grande loyauté que, jusqu’à ce jour, il n’avait rien compris à mon écriture et qu’il lui aurait été impossible d’établir un rapport quelconque entre cette écriture et le caractère qu’il me connaissait.

» — Vraiment, interrompis-je, et quel caractère me connaissez-vous, Adolphe ?

» — Me permettez-vous de vous le dire et me promettez-vous de ne m’en point vouloir ?

» — Je vous le promets.

» Il me fit, sur cette promesse, une peinture de mon caractère : qu’il était celui d’un brave bourgeois, d’un honnête marchand, d’un excellent mari, mais d’un homme incapable de montrer de la fermeté, de la volonté, de l’énergie. Il me dit encore que ma timidité était excessive et que cette bonté qu’il me reconnaissait tout à l’heure était toujours prête à dégénérer en faiblesse.