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dormis d’un sommeil de plomb. Il faisait grand jour quand je me réveillai. Mon mari était parti.

Je m’habillai à la hâte et, sans rien dire à la servante, je courus à Todnau. Là, je pris une voiture qui devait me conduire à Fribourg. J’y arrivai à la tombée du jour. Je courus à la Maison de Justice et la première personne que j’aperçus, entrant dans cette maison, fut mon mari. Je restai là clouée sur place et comme je ne vis point Herbert ressortir, je fus persuadée qu’il s’était dénoncé et qu’il avait été gardé sur-le-champ à la disposition du parquet.

La prison était alors attenante à la Maison de Justice. J’en fis le tour comme une désespérée. Toute la nuit, j’errai dans les rues, revenant sans cesse à cette lugubre maison, et les premiers rayons de l’aurore commençaient à poindre quand j’aperçus deux hommes en redingote noire qui gravissaient les degrés du palais.

Je courus à eux et leur dis que je voulais voir le plus tôt possible le procureur, car j’avais la plus grave communication à lui faire relativement à l’assassinat de Basckler.

L’un de ces messieurs était justement le procureur. Il me pria de le suivre et me fit entrer dans son cabinet. Là, je me nommai et lui dis qu’il avait dû recevoir, la veille, la visite de mon mari. Il me répondit qu’en effet il l’avait vu. Et comme il se taisait après cela, je me jetai à ses genoux en le suppliant d’avoir pitié de moi et de me dire si Herbert avait avoué son crime. Il parut étonné, me releva et me questionna.

Peu à peu, je lui fis le récit de mon existence, telle que je vous l’ai racontée, et enfin je lui fis part de l’atroce découverte que j’avais faite dans le petit cabinet du chalet de Todnau. Je terminai en jurant que je n’aurais jamais laissé exécuter un innocent et que, si mon mari ne s’était dénoncé lui-même, je n’aurais pas hésité à instruire la justice. Enfin, je lui demandai comme grâce suprême de me laisser voir mon mari.

— Vous allez le voir, madame, me dit-il, veuillez me suivre.

Il me conduisit plus morte que vive à la prison, me fit traverser des corridors et monter un escalier. Là, il me plaça devant une petite fenêtre grillée qui surplombait une grande salle et il me quitta en me priant de prendre patience. D’autres personnes vinrent bientôt se placer également à cette petite fenêtre et regardèrent dans la grande salle sans mot dire.

Je fis comme eux. J’étais comme accrochée aux barreaux et j’avais le sentiment aigu que j’allais assister à quelque chose de monstrueux. La salle peu à peu se garnissait de nombreux personnages qui, tous, observaient le plus lugubre silence. Le jour, peu à peu, éclairait mieux le spectacle.

Au milieu de la salle, on apercevait distinctement une lourde pièce de bois que quelqu’un derrière moi nomma : c’était le billot.

On allait donc exécuter Müller ! Une sueur froide commença à me couler le long des tempes et je ne sais comment, dès cette minute, je ne perdis point connaissance. Une porte s’ouvrit et un cortège parut en tête duquel s’avançait le condamné, tout frissonnant sous sa chemise échancrée et le col nu. Il avait les mains liées derrière le dos et il était soutenu par deux aides. Un ministre du culte lui murmura quelque chose à l’oreille. Le malheureux prit alors la parole, — une pauvre parole tremblante — pour avouer son crime et en demander pardon à Dieu et aux hommes ; un magistrat prit acte de cet aveu et lut une sentence ; puis les deux aides jetèrent le patient à genoux et lui mirent la tête sur le billot. Mathis Müller ne donnait déjà plus signe de vie quand je vis se détacher de la muraille, où il s’était jusque-là tenu dans l’ombre, un homme aux bras nus et qui portait une hache sur l’épaule.

L’homme toucha la tête du condamné, écarta d’un geste les aides, leva la hache et d’un terrible coup frappa. La tête, du coup, avait roulé. Il la ramassa, de son poing, dans les cheveux et se redressa.

Comment avais-je pu, jusqu’au bout, assister à une pareille horreur ? Mes yeux cependant ne pouvaient se détacher de cette scène de sang, comme si mes yeux avaient encore quelque chose à voir… et, en effet, ils virent… ils virent quand l’homme se redressa et leva la tête, tenant dans la main son abominable trophée… Je poussai un cri déchirant :

Herbert !

Et je m’évanouis.

Monsieur, maintenant, vous savez tout, j’avais épousé le bourreau. La hache que j’avais découverte dans le petit cabinet était la hache du bourreau, les vêtements ensanglantés, ceux du bourreau ! Je faillis devenir folle chez une vieille parente où, dès le lendemain, je m’étais réfugiée et je ne sais comment je suis encore de ce monde. Quant à mon mari, qui ne pouvait se passer de moi, car il m’aimait plus que tout sur la terre, on le trouva, deux mois plus tard, pendu dans notre chambre. Je reçus ses derniers mots :

« Pardonne-moi, Élisabeth, m’écrivait-il. J’ai essayé tous les métiers. On m’a chassé de partout quand on a su celui que faisait mon père. Il m’a fallu de bonne heure me résoudre à une telle succession. Comprends-tu maintenant pourquoi on est bourreau de père en fils ? J’étais né honnête homme. Le seul crime que j’aie jamais commis de ma vie est de t’avoir tout caché. Mais je t’aimais, Élisabeth, adieu ! »

La dame en noir était déjà loin que je regardais encore stupidement l’endroit du lac où elle avait jeté la petite hache d’or.


Gaston LEROUX.