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Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/170

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GASTON LEROUX

Et cet appel l’avait touché comme une onde hertzienne rencontrant l’appareil récepteur !…

Et il accourait !…

Il allait la sauver !… la débarrasser de son tyran !… Ah ! il ne s’agissait plus d’amour-propre d’auteur !… Il maudissait une fois de plus son génie qui n’avait abouti qu’au supplice de Christine… et au sien !… Cette merveille : son œuvre… son enfant… il n’hésiterait pas à l’anéantir !…

Il n’y avait qu’une chose de vraie au monde : serrer Christine dans ses bras ! le reste n’existait pas !

Ainsi couraient les pensées de Jacques pendant que l’autocar remontait la vallée du Paillon, tournait le flanc des monts laissait derrière lui l’Escarène, s’arrêtait pour souffler quelques minutes sur la petite place de Lucéram et permettre aux voyageurs de visiter la curieuse église, les ruines du château fort, les remparts de cette colonie romaine que fut Lucé Ara.

Vieilles pierres, vieilles images ! Gouffre du passé ! qu’étiez-vous pour un homme qui s’était penché comme Jacques Cotentin sur le gouffre de l’avenir et qui courait à la recherche du démon qui venait de surgir de l’abîme à l’appel imprudent de sa voix ?

Malheur sur ceux qui devancent le temps, qui anticipent sur l’heure qui règle la marche du troupeau !… Malheur à l’inventeur ! En attendant les lauriers de l’avenir, on lui tresse des chaînes ! D’une main, il lance sur le monde l’étincelle de Prométhée, mais quand il ouvre l’autre, il y trouve le petit oiseau funèbre qui sera un jour prochain le grand vautour qui lui fouillera le sein !

Paroles pompeuses en vérité, mais à la taille de ces demi-dieux dont le front vaincu continue à menacer l’univers ! Hélas !… elles détonnent un peu quand il s’agit d’un pauvre amoureux comme Jacques Cotentin qui ne demande qu’à oublier son génie dans un baiser !…