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Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/193

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LA MACHINE À ASSASSINER
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« Nous succomberons ou nous vaincrons !…

« Ah ! comme il est beau, notre Gabriel dans cette minute tragique où il défie le monde !… Je cherche dans sa main l’épée flamboyante !… Je la vois !… Prie pour nous, mon bon Jacques ! et soigne-toi bien !… Ta Christine. »

« P.-S. — Je lui ai demandé la permission de t’écrire ce mot. Il y a immédiatement consenti… Je suis entrée dans le bureau de tabac… Tu excuseras mon pauvre papier… Je lui ai demandé aussi s’il n’était point préférable de t’emmener avec nous… mais il t’a vu hier dans un tel état qu’il m’a fait comprendre qu’il ne serait peut-être point charitable de troubler ton repos… Je n’ai pas insisté, connaissant ton cœur et sachant que tu n’eusses pas hésité à sacrifier ta santé pour venir partager nos dangers… À bientôt, mon bon Jacques ! tu entendras parler de nous !… »

L’effet produit par cette lettre sur l’esprit déjà un peu endolori de Jacques Cotentin fut plutôt funeste.

Il y a des moments où l’être, jusqu’alors le mieux équilibré, ne se sent plus d’aplomb dans la vie. Ce balancier invisible qu’est la juste appréciation des événements, des gens et des choses au milieu desquels il se meut, lui faisant tout à coup défaut, il chancelle, étend ses bras vides, ne trouve point où se rattraper, et voilà un homme par terre…

Cette lettre donna à Jacques ce vertige. Il y vit une atroce ironie là où Christine ne s’était exprimée qu’avec une cruelle mais inconsciente candeur.

Si Jacques avait conservé cette belle lucidité scientifique que ses maîtres et ses élèves admiraient naguère, il eût été moins étonné de ce qui lui arrivait et surtout de ce qui arrivait à Christine. Elle vivait dans le rayonnement d’un dieu, loin des contingences. Elle aussi devenait pur esprit.