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Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/67

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LA MACHINE À ASSASSINER
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sa main et sur lequel le rôtisseur lit : « Avez-vous une couverture de voyage ? »

— Monsieur, lui répond plus énervé que jamais d’une telle entrée en matière, le chantre de Béranger, monsieur ! nous ne sommes pas ici aux Galeries Lafeuillette !

Sans plus se préoccuper du rôtisseur que s’il n’existait pas, le client se dirige droit sur la rôtisseuse. Profitant de ce que la porte est ouverte, M. Flottard, qui a l’esprit préoccupé par la vision entr’aperçue, se glisse jusqu’à l’auto, ouvre rapidement la portière, la referme avec une sourde exclamation d’horreur, et revient en hâte jusque dans sa rôtisserie pour entendre Mme Flottard pousser un cri d’épouvante. D’une main brutale, le voyageur est en train de lui arracher le châle de laine qui enveloppe si confortablement le buste de la frileuse cabaretière, et, de l’autre, il la menace d’un revolver braqué à bout portant.

C’en est trop pour un rôtisseur qui dispose justement d’un solide couteau de Châtellerault tout neuf, un couteau qui n’a pas servi !… Certes, M. Flottard ne pensait pas « l’essayer » sur un hôte qui n’appartenait point à sa basse-cour mais on ne choisit pas toujours les occasions. Souvent, comme on dit « elles vous forcent la main ! » et, en vérité, ce n’était pas une raison parce que Mme Flottard n’appréciait point à sa juste valeur « le talent chansonnier » de son époux pour que celui-ci la laissât assassiner sous ses yeux sans protester. Il protesta donc avec son couteau et le planta jusqu’au manche dans le dos de ce redoutable et trop énigmatique personnage qui promenait dans sa voiture une jeune personne à demi morte et qui prenait son cabaret littéraire pour un magasin de nouveautés !…

Oui ! jusqu’au manche !… et c’est le cas de dire que ce couteau est entré dans le dos de ce monsieur comme dans du beurre !…