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Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/81

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LA MACHINE À ASSASSINER
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— De qui parlez-vous donc ? demanda tout de suite Jacques Cotentin, en échangeant avec l’horloger un rapide coup d’œil déjà chargé d’angoisse…

— Mais d’un drôle de bonhomme qui était encore ici, il y a cinq jours, tenez !… d’abord, il était muet !…

— Ah !…

Ce qu’il y avait dans ce « Ah ! » qui sortit en même temps des lèvres de nos deux voyageurs, nous ne saurions l’exprimer… Comparons-le simplement à un soupir d’agonie…

— Oui !… oh ! un garçon qui était bien à plaindre, allez ! D’abord, il était plein de tics, quand on l’examinait bien… Il marchait un peu comme on danse… Il semblait toujours prêt à s’envoler… Ça n’était pas déplaisant à voir… c’était même plutôt gracieux… Il semblait avoir la légèreté d’un oiseau… Pour moi, c’était une façon qu’il avait d’être malade comme ça !… On voit si souvent des ataxiques qui ont tant de mal à allonger la patte !… Lui, il semblait plutôt réprimer ses mouvements, comme s’il craignait de ne pas pouvoir s’arrêter… C’était sûrement un blessé de guerre qu’on avait dû raccommoder en partie… Les gaz ? Une explosion ! Un morceau d’obus qui l’avait amoché ?… Je me le suis demandé… J’en ai vu passer ici, des réparés, depuis la Marne !… Il ne devait plus pouvoir parler depuis qu’il avait eu le menton enlevé !…

— Le menton enlevé ? balbutia Jacques.

— Oh ! on lui en avait remis un, et comment !… Ça avait été proprement fait, vous savez !… Mais tout le bas du visage ne formait plus qu’un bloc qui ne remuait guère… Avec ça, il avait des yeux magnifiques, et si doux, et si tristes… on aurait pleuré rien qu’en le regardant… ou bien on en serait tombé amoureux… Ah ! il était beau, dans son genre, on ne peut pas dire, malgré sa misère !…

— Sa misère ? marmotta l’horloger.