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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/214

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LA POUPÉE SANGLANTE

jours pour une raison ou pour une autre dans le moment qu’il croyait s’en être rapproché le plus.

Jamais la nature n’avait été aussi belle, ni aussi douce. On touchait à la fin septembre. Un soleil doré répandait sa tendresse vaporeuse sur le royaume de la Loire. Corot n’eût pas mieux fait. Jacques posa sa main sur celle de Christine : elle était glacée. Lui, dans le paysage aimable et joyeux, ne pensait qu’à la vie. Elle, ne songeait qu’à la morte vers laquelle ils couraient à quatre-vingts à l’heure.

Quand ils arrivèrent à Coulteray, les cloches de la petite église du village et celle de la chapelle du château se mirent à sonner leur glas funèbre :

— On va sans doute l’inhumer aujourd’hui, fit Christine, dont les yeux se mouillèrent. Ah ! je voudrais la revoir une dernière fois : je sais bien ce que je lui murmurerais à l’oreille !… Pourvu que nous arrivions avant la cérémonie !

Quant à Jacques, il lui était de plus en plus impossible de se mettre à l’unisson de ces tristes pensers. Il en voulait à la défunte de lui ravir le charme de l’heure. La vision de ce petit bourg à flanc de coteau, apparu dans la verdure et mirant ses murs blancs, ses toits pointus, ses champs et ses vignes dans la belle nappe de diamant de la rivière qui, quelques kilomètres plus loin, allait se jeter ou plutôt se perdre dans la Loire, ce beau ciel, cette fluidité de l’atmosphère, la joie accueillante des visages rencontrés jusqu’alors sur le bord du chemin, sur le seuil des maisonnettes qui s’ouvraient sans mystère sur leur bonheur domestique, ne l’avaient pas préparé à entendre cette lugubre litanie du bronze que se renvoyaient les deux clochers, lesquels semblaient n’avoir été bâtis que pour annoncer noces et baptêmes.

Le village était désert. L’auto le traversa et