Aller au contenu

Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
239
LA POUPÉE SANGLANTE

Depuis la funèbre cérémonie, la ripaille n’avait pas cessé. On s’était bien levé un instant pour faire une partie de boules, mais on se retrouvait toujours à table pour un repas qui semblait ne pas devoir avoir de fin. La domesticité, doublée pour la circonstance, était sur les dents. La veuve Gérard servait en extra. Elle en avait entendu des plaisanteries sur son aventure du matin, sur le geste du marquis qui l’avait fait fuir !… Ça lui apprendrait à raconter des histoires « d’empouse » !…

On avait voulu la faire boire :

— Trinquons à l’empouse, mère Gérard ! si vous ne voulez pas qu’elle vienne vous tirer par les pieds !

Elle ne répondait rien, le front têtu, l’œil mauvais, les dents serrées…

— Ne la blaguons plus, finirent-ils par dire. Elle commence à avoir le mauvais œil !…

On croit au mauvais œil à Coulteray. Ils la laissèrent tranquille… Ils se mirent à chanter des vieilles chansons du pays…

— Ils en ont comme cela jusqu’à demain matin, dit Jacques quand Christine et lui eurent fini de dîner dans un coin de tonnelle, tu as eu raison d’accepter l’hospitalité du marquis… Ici nous n’eussions pas fermé l’œil !

Ils rentrèrent au château, s’embrassèrent, se souhaitèrent une bonne nuit. Jacques se coucha et dormit tout de suite.

Christine ne se coucha pas… Elle se laissa tomber, pensive, dans un fauteuil.

Sa fenêtre était restée ouverte… Un paysage lunaire s’étendait devant elle, d’une grande étendue et d’une grande beauté… D’abord, c’étaient les bâtiments du château avec leurs ombres crues sur la terre déserte, silencieuse, qu’aucun bruit ne