Aller au contenu

Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
LA POUPÉE SANGLANTE

prête à l’illusion, avec ce fichu Marie-Antoinette qu’elle a croisé sur son sein demi-nu.

Quelle comédie se jouent-ils là ? Comment cela a-t-il commencé ? Comment cela finira-t-il ? Où sommes-nous ? Je n’y comprends plus rien !

Cet homme ne lui a pas encore adressé la parole, mais il a obéi à son appel. Gabriel descend l’escalier devant Christine…

Les voilà tous les deux maintenant dans le jardin. Il s’est assis sous le platane, devant une petite table garnie d’une nappe où se trouvent encore des fruits et des flacons. Je le vois mal, je la vois mieux, elle ; elle tourne autour de lui, elle lui parle, elle s’assied près de lui, elle met sa tête sur son épaule, je les vois de dos et l’arbre me gêne. Ils ne bougent plus ; ils restent ainsi tendrement l’un près de l’autre pendant des minutes que je ne saurais compter et qui ont été des plus cruelles de ma vie.

Ah ! une tête de femme sur son épaule ! Et la tête de Christine !

Si je pouvais lui manger le cœur, à l’autre !

Enfin ils se sont levés, ils se tenaient par la main ; ils ont gravi l’escalier et elle lui tenait toujours la main, et c’est elle qui l’a entraîné dans l’atelier et qui en a refermé la porte.

Je suis redescendu comme un fou, dans mon atelier, à moi ! Et j’ai pleuré ! oui ! j’ai pleuré ! Ces idiots de poètes disent qu’on pleure des larmes de sang. Je le saurais bien !

Tout à coup on a frappé à la vitre du magasin. C’était elle. Elle ! Elle ! Elle qui ne m’avait jamais adressé la parole ! Elle qui avait toujours passé à côté de moi comme si je n’existais pas !

J’ouvris en m’accrochant à la porte pour ne pas tomber. Elle me vit chancelant, hagard, les yeux rouges. Je suis horrible. Je devais être hideux !