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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/50

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LA POUPÉE SANGLANTE

de s’expliquer, elle plie sous la nécessité d’entrer en pourparlers avec le voisin d’en face ! Quel mensonge vais-je entendre ?…)

» Oui, atroce ! répéta-t-elle (et elle baissa la tête, et ses yeux me quittèrent, et la salle se remplit d’une ombre opaque)… Nous sommes ruinés… Nous avons mangé depuis longtemps l’héritage de ma mère… et ce que nous gagnons est insignifiant !… Monsieur, je vois sur ce rayon, derrière vous, les Études philosophiques de Balzac. Avez-vous lu la Recherche de l’absolu ? Oui, naturellement, vous l’avez lu. Je ne sais si vous êtes de mon avis, mais j’estime que ce roman est, avec Louis Lambert, la plus belle œuvre de Balzac, la plus noble et aussi la plus dramatique. Quoi de plus angoissant, en vérité, que le sort de cette famille bourgeoise et prospère et peu à peu ruinée par l’idée de génie ? Rien ne résiste à la folie sublime de l’inventeur, et les enfants sont obligés de subir la débâcle du vieux Claës, comme… Vous m’avez comprise, monsieur ! Seulement, en ce qui concerne l’horloger Norbert de l’Île-Saint-Louis, il y a une petite différence… Les enfants du héros de Balzac ne croient pas à son génie, sa femme non plus du reste (et elle n’en apparaît que plus touchante dans son dévouement), tandis que les enfants de Norbert — je veux parler de son pupille et de moi, monsieur — ont la foi la plus absolue dans l’idée et n’auraient pas hésité, si cela avait été nécessaire, à mettre leur père sur la paille dans le cas où il eût hésité !…

— Mâtin ! fis-je… tout cela pour le mouvement perpétuel !

— Pour cela, ou pour autre chose, monsieur !

— Oh ! ne me croyez pas indiscret ! Je savais qu’en vous parlant du mouvement perpétuel, je