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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/58

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LA POUPÉE SANGLANTE

digieuse cette bibliothèque, vous n’aviez rien exagéré.

— Je n’exagère jamais rien !…

Dans cette bibliothèque pâle, pâle, aux vieux bois effacés, aux moulures effritées derrière des treillis dédorés et légers comme les premiers enlacements d’une corbeille destinée au boudoir d’une coquette… il y avait là des milliers et des milliers de volumes dans leurs reliures centenaires… Sur les tables, sur les lutrins, je soupçonnai, du premier coup d’œil, des merveilles…

— Vous verrez ! vous verrez ! me dit Christine… il y a là des livres sans prix ! des autographes rarissimes comme n’en possède pas l’Arsenal : tenez, dans ce coffret fleurdelisé, voici le livre d’heures de Blanche de Castille qu’elle légua à son petit saint de fils… Lisez : « C’est le psautier de Monseigneur Loys, lequel fut à sa mère » ; il provient des trésors dispersés de la Sainte-Chapelle ; puis la bible de Charles V, portant de la main même du roi : « Ce livre à moy, roy de France »… et ce missel dont chaque feuille est encadrée d’une incomparable guirlande due au pinceau du « maître aux fleurs », ce grand artiste dont on ignore le nom… Ah ! cher relieur d’art, mon voisin, quels trésors pour vous ici, quelles inspirations… Voici encore, dans ce coffret, la lettre d’amour de Henri IV embrassant « un mylion de fois » la marquise de Verneuil… Le marquis veut faire un recueil d’autographes s’il trouve un relieur digne de les réunir. Tenez-vous bien, monsieur Bénédict Masson.

J’étais transporté. Il n’y avait plus en moi que l’artiste… l’amoureux lui-même semblait avoir fui… quand, tout à coup, dans cette grande pièce pâle où glissait une lumière avare, je sentis que le drame (que j’avais oublié un instant)