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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/60

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LA POUPÉE SANGLANTE

ment par le triste flambeau d’un regard plein d’inquiétude et de douleur.

Je pus constater tout de suite que j’étais attendu, car Christine ne m’eut pas plus tôt présenté que la marquise me remercia presque avec effusion d’être venu, et assez hâtivement du reste, comme si elle eût craint d’être surprise… D’une voix qui rappelait le pépiement craintif d’un petit oiseau tombé du nid, elle me dit :

Mlle Norbert nous a parlé de vous… Vous êtes le bienvenu… Le marquis a besoin d’un homme comme vous pour ses collections, auxquelles il attache un si grand prix… Figurez-vous que Mlle Norbert voulait nous quitter !… C’est si triste ici !… Elle prendra patience dans la compagnie d’un artiste comme vous !… Moi aussi, j’aime les livres… je viendrai vous voir de temps en temps. Je m’ennuie… si vous saviez comme je m’ennuie ! Il faut me pardonner… J’ai été élevée aux Indes, n’est-ce pas ? Il ne faut pas me quitter ! Il ne faut pas me quitter !…

Là-dessus, elle s’en alla ou plutôt se sauva… disparut au bout de la pièce comme si elle passait à travers les murs, en répétant ces mots : « Il ne faut pas me quitter ! »…

Christine ne m’avait donc pas menti. Et c’était peut-être moins pour le marquis que pour la marquise qu’elle restait, et par charité… si elle avait mené une véritable intrigue avec cet homme, elle ne m’en eût certes point averti !… elle murmura :

— Pauvre femme !

Nous restâmes un instant silencieux. À travers la vitre je regardais le jardin qui s’étendait derrière l’hôtel et qui me parut un peu négligé, ce qui n’était point pour me déplaire. L’été tout proche paraissait déjà en vainqueur dans le fouillis