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Page:Leroux - La maison des juges.djvu/12

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naliste m’a dit : «  Un jeune homme qui a une épaule plus haute que l’autre… » Pauvre M. Marie-Louis ! Quel dommage tout de même qu’il soit difforme. Il aurait fait un si beau juge ! Mais quel âge a-t-il exactement, maintenant ?

Nanette. — Vingt-sept ans… Il a huit ans de moins que son frère, M. Jean, qui, lui, en a trente-cinq à la saint Michel.

Bernard. — Et le voilà déjà procureur à Melun ! C’est utile d’appartenir à une vieille famille de magistrats ! Eh bien, vous savez, il n’a pas été brillant, ce matin, M. Marie-Louis !

Nanette. — Comment cela ?

Bernard. — Le journaliste m’a raconté qu’il avait fait d’abord le faraud, devant les membres de la presse. Et puis, il s’est trouvé très troublé au moment de l’exécution… Il paraît que, lorsque le couteau est tombé, il a failli se trouver mal ! Il s’est fait reconduire chez lui et n’a plus voulu recevoir personne.

Nanette. — Songez que c’est sa première tête !…

Bernard. — Il a dû bien souffrir !

Nanette, haussant les épaules. — C’est encore un enfant ! Ça ne sait pas…

Bernard. — Ça n’est pas comme M. Jean, hein ! En voilà un qui connaît son affaire… Vous l’aimez bien, M. Jean

Nanette, avec fanatisme. — Si je l’aime !…

Bernard, il prête soudain l’oreille à un bruit sourd et rythmé que l’on entend dans le plafond. — Qu’est-ce que c’est que ce bruit-là ?

Nanette, elle montre le plafond. — C’est l’ancêtre…

Bernard. — À cette heure-ci ?

Nanette. — Oui, il marche !… Tout à l’heure, je suis montée doucement pour voir s’il dormait… Il marchait en frappant le plancher avec sa grande canne… je lui ai dit : «  Vous ne vous couchez pas, mon maître  ? » Il ne m’a pas répondu. Il est venu à moi, en me regardant bien en face, mais il ne m’a pas vue, car il a continué à marcher… Pendant des heures, il marche dans sa chambre… C’est effrayant… à son âge…

Bernard. — Vous savez qu’on parle d’une grande fête pour son centenaire… Quand je pense qu’il y a là-haut un homme qui va avoir cent ans… et qui