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Béatrice. — Vous ne m’avez jamais parlé de ces choses…

Marie-Louis. — Béatrice… Y a-t-il sur la terre une torture plus inouïe que celle qui condamne une âme tendre à ne jamais connaître la tendresse, un cœur aimant à ne jamais être aimé, à ne vouloir pas être aimé parce qu’il ne pourrait l’être que par pitié…

Béatrice, très émue. — Marie-Louis !

Marie-Louis. — Ceux dont je vous parle, Béatrice, ont été frappés, non pas par l’erreur des hommes, qui est réparable, mais par celle de la nature, qui est indélébile. Ah ! je les connais, ces malheureux, j’ai visité leur bagne qui est immense, grand comme la terre où ils sont condamnés à assister au bonheur des autres… et je pleure sur ces infortunés qui ont sur les lèvres des paroles désespérées que l’on n’entendra jamais… car ils ne les prononceront jamais… jamais !…

Béatrice. — Mon pauvre enfant !…

Marie-Louis. — Oui, oui, je suis un pauvre enfant, un enfant qui vous supplie de rester. Il faut être meilleure que nous… Qu’est-ce que je vous demande ?… un peu de patience encore… un peu de pitié pour nous tous… pour moi qui veux vous voir… vous voir heureuse… j’y travaillerai, Béatrice… Jean vous aimera encore !…


Scène IX

LES MÊMES, NANETTE

Nanette, une lampe à la main, s’en va à la cheminée chercher des objets oubliés sur un escabeau, elle s’attarde là, regardant sournoisement Béatrice et Marie-Louis.

Marie-Louis, bas, à Béatrice. — J’ai votre promesse… Vous me jurez…

Béatrice, avec un geste de résignation. — Oui !

Ils se séparent. Marie-Louis s’en va par la porte du fond, à gauche, et Béatrice par l’escalier. Nanette les regarde partir, et restée monte à son tour l’escalier. Elle s’arrête à la porte que vient de refermer Béatrice, écoute un instant et redescend à pas silencieux, tenant sa lampe.


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