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Maître Aga. — Il a raison !

Béatrice. — J’aime à voir comme dans la maison des juges, vous vous entendez sur l’idée que vous devez avoir de la justice… (Elle va à Marie-Louis.) Qu’avez-vous, Marie-Louis, vous paraissez accablé ?

Marie-Louis, très triste. — Mon Dieu, oui, Béatrice… je suis accablé !… Les paroles de Jean que vous avez entendues… celles de mon père aujourd’hui…

Le Président, à Marie-Louis affectueusement. — Ne prends pas trop à la lettre ce que je t’ai dit, mon enfant… Il y a malheureusement beaucoup de vérité dans ma façon de voir, mais il ne faut pas que cela t’empêche de rester l’honnête garçon que nous aimons tous…

Il lui serre fortement la main.

Marie-Louis. — Eh ! mon père… il y a des moments où je me demande si je suis honnête… des moments où je me trouve indigne… oui, indigne… des moments où j’ai honte d’être magistrat… quand je vois avec quelle facilité nous expédions notre triste besogne… comment nous frappons au petit bonheur.. au hasard… C’est terrible !… Oui, au hasard… le plus souvent nous ne savons rien de l’individu qui nous passe par les mains… et… pan ! pan !… un an, deux ans de prison… est-ce que c’est bien honnête ce que je fais là ?… Tenez ! un jour j’ai souhaité qu’un pauvre bougre que nous venions de condamner m’envoyât sa savatte à la figure… Ça m’aurait soulagé.

Protestations et rires. Marie-Louis reste grave et triste.

Le Président. — Et lui, ça lui aurait valu deux ans de plus !… Que veux-tu, mon bon Marie-Louis, chacun fait ce qu’il peut… l’inculpé pour tromper la société, le juge pour la sauvegarder… et ni l’un ni l’autre ne sont parfaits ; l’inculpé n’est jamais un parfait bandit et le juge est rarement un parfait honnête homme… Cite-moi donc ici-bas une œuvre qui soit parfaite… Le tribunal, c’est encore ce qu’on a trouvé de mieux pour nous débarrasser des assassins et des voyous.

Marie-Louis. — En êtes-vous sûr, mon père ?… Moi pas… Certains soirs, je sors du Palais, le cœur malade, le cerveau hanté par cette idée qu’il y a autre chose à faire pour nous que cette œuvre imbécile qui consiste à punir à tort et à travers… Ce sont