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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/104

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— Cela signifie, monsieur le procureur impérial, répondit Dixmer, que vous allez écrire à Madame la lettre qu’elle vous demande…

II

OÙ APRÈS AVOIR FAIT LE JEU DE TOUT LE MONDE,
DIXMER COMMENCE À JOUER LE SIEN

Mme Demouzin était une petite femme toute ratatinée, contrefaite, les lèvres peintes, les sourcils noir de charbon, habillée avec une assez sobre élégance mais portant, sur la fourrure sombre de son manteau, une longue et épaisse chaîne d’or.

Cette vieille femme peu ragoûtante était à la tête de l’un des salons les plus fréquentés de Paris, et passait pour être plus puissante qu’un ministre. Elle se mêlait autant qu’elle le pouvait des affaires des autres, et le bruit courait que cela faisait parfaitement les siennes.

Si Mme Demouzin aimait à s’occuper des affaires des autres, elle ne tenait guère, à moins qu’elle ne vous y invitât, à ce qu’on mît le nez dans les siennes…

Aussi, si le procureur impérial montra de la suffocation, lors de l’intervention si inattendue de Dixmer, Mme Demouzin montra de la hauteur. Ses petits yeux brillants de courroux fixaient Dixmer et sur son chapeau deux plumes, l’une blanche et l’autre bleu pâle, avaient pris résolument le parti de leur maîtresse, recourbées comme des points d’interrogation, semblant demander, avec force agitation et balancement, à l’intrus, les raisons de son intrusion.

Quant à Régine, le lecteur le connaît suffisamment maintenant pour imaginer qu’il ne montrait aucune colère de l’incident, mais qu’il en ressentait certainement de l’inquiétude. Cet ancien soldat était cependant ce que l’on est convenu d’appeler un homme brave, et il l’avait glorieusement prouvé au feu. Sa conduite pendant la guerre d’Italie avait été admirable.

Régine, si audacieux dès qu’il s’agissait de mourir honorablement, devenait lâche dès qu’il se trouvait en face de la nécessité, pour vivre ou pour faire vivre les siens, d’une action déshonorante.

Comment expliquer une pareille nécessité ? Par le jeu ! Le jeu, après en avoir fait un officier aux abois, en faisait à cette heure un tripoteur de profession. Sa débâcle avait commencé avec celle de la Caisse générale des voies ferrées, qui engloutit tant de fortunes ; il avait dû signer alors un nombre considérable de billets à ordre qu’il n’avait jamais pu payer. Depuis, malgré sa haute situation politique, qu’il devait tout entière à Sinnamari, tombé entre les mains des usuriers, usant de tous les moyens pour se procurer de nouvelles ressources,