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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/153

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» Ça a été mon tour. J’entrai dans une cour sur laquelle s’ouvrait un immense hangar. Un domestique me conduisit dans ce hangar. Ah, mes enfants, quel tintamarre ! Il y avait bien là huit mille perroquets ! Peut-être dix mille ! Et ils jacassaient ! Et ils jacassaient ! Toutes les cages étaient alignées par rangées et par étages. Il y avait bien là vingt étages de cages, et entre les rangées et les étages, il y avait des espèces de passerelles et d’échafaudages en planches, qui permettaient aux gens de se promener entre toutes les cages. Il y avait une armée de domestiques. On voyait que les cages étaient tenues proprement et que les oiseaux ne devaient manquer de rien. Mais ce qui m’a étonné le plus de tout, c’est de voir des écrivains, une quantité d’écrivains qui se promenaient entre toutes les cages !

— Des écrivains ? s’écriait-on. Des écrivains chez des perroquets ?…

— Ils allaient y puiser l’inspiration, s’écria le Professeur. L’écrivain, mesdames et messieurs, doit tout au perroquet ! Et il le sait si bien, qu’arrivé au faîte des grandeurs, il se déguise en perroquet. Pour peu que vous ayez pénétré, mesdames et messieurs, dans la cage qui est au bout du pont des Arts…

— Et d’abord, mère Héloïse, comment savez-vous que c’étaient des écrivains ?

— Ah ! c’est vous, mon bon monsieur, fit la concierge en se tournant vers un petit homme myope correctement vêtu d’un complet à carreaux et qui portait binocle et qu’on eût pu prendre, lui aussi, pour un écrivain, mais qui, en fait, vendait des olives dans un petit baquet de bois traversé d’une baguette qu’il avait toujours à la main. Vous me demandez comment j’ai su que c’étaient des écrivains. C’est bien simple, je l’ai bien vu, parce qu’ils écrivaient.

— Ils écrivaient ! s’écria encore le Professeur. Ils écrivaient dans un pareil tintamarre. Ils écrivaient au milieu de dix mille perroquets !… Et comment donc écrivaient-ils ?

— Voilà ! expliqua la mère Héloïse, ils se promenaient…

— Comment, ils écrivaient en se promenant ?…

— Oui, ils écrivaient en se promenant au milieu des cages. Ils allaient à petits pas, et, de temps en temps, s’arrêtaient et écrivaient.

— Et sur quoi écrivaient-ils ? demanda un petit homme dont la chevelure opulente déroulait ses anneaux jusque sur ses maigres épaules.

— Ah ! c’est vous, mon bon monsieur Sésostris ! fit encore Héloïse. Eh bien, mais ils écrivaient sur des registres !

— Sur des registres ?

— Sur de gros registres.

— Avec des coins de cuivre ?

— Autant que je m’en souviens, mon doux Jésus, il y avait des coins en cuivre aux gros registres !