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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/157

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déplaire à messire Thiébault, qui n’eût point compris qu’on osât entrer à l’œil dans la Littérature, si l’on n’était pas décoré !

Et cela jetait un lustre ineffable sur sa maison.

Le troisième corps de bâtiment s’appelait le « Conservatoire » et servait uniquement à loger les musiciens.

Il ne faudrait pas croire qu’un partage aussi net des aptitudes et professions s’était fait tout seul. La logique des mœurs, les forces de la nature, les atomes crochus s’en étaient mêlés dans le cours des âges. Au commencement de la Mappemonde, tout était sens dessus dessous et les hommes et les choses vivaient dans un chaos inimaginable.

Artistes, chansonniers, clowns, littérateurs, violonistes se heurtaient sans parvenir à se confondre, et de leurs chocs résultaient des perturbations atmosphériques dont on n’a point perdu le souvenir dans le quartier ; l’air s’emplissait de clameurs ; la mère Héloïse, épouvantée, s’enfuyait sur le trottoir, poursuivie par Salomon ; le sieur Thiébault surgissait sur le seuil des Trois-Pintes, montrant au passage un visage bouleversé par la fureur et une chevelure arrachée par le désespoir.

Mais il faut attribuer surtout le déchaînement des éléments divers de la Mappemonde et finalement leur séparation à ce fait que les atomes musicaux instrumentistes persistaient à se lever à l’heure où les atomes littéraires persistaient à se coucher — en admettant tout d’abord que les atomes se lèvent et se couchent, ce qui était d’ailleurs le cas de nos atomes à nous, puisqu’ils étaient surtout venus habiter l’hôtel de la Mappemonde pour cette importante opération. Les cloisons qui séparaient ces divers éléments étaient minces et tout à fait dans l’impossibilité de permettre à un piano ou à un violon, ou à une contrebasse, ou à une flûte, ou à un piston de saluer l’aurore sans être entendus d’un drame romantique, ou d’une tragédie en cinq actes qui, dans le même moment, lui avait dit au revoir (à l’aurore). Et il n’y a rien de terrible comme une tragédie en cinq actes qui a veillé toute la nuit sur une table de café, qui a dit au revoir à l’aurore et qui est obligée de contempler à nouveau la lumière du jour, tout simplement parce que le trémolo, son voisin, n’a plus sommeil. La musique qui, partout ailleurs, adoucit, paraît-il, les mœurs, les irrita d’une si singulière façon à l’Hostellerie de la Mappemonde que sire Thiébault déclara un jour que tous ceux qui avaient un instrument de musique, quel qu’il fût, iraient s’établir dans le corps de bâtiment du fond. Le Conservatoire était fondé.

Il ne faudrait point croire que tout fût désormais pour le mieux dans la meilleure des « Mappemondes ». Les gammes purent vivre en paix tout au fond de la seconde cour ; mais la Littérature, qui n’est jamais contente, eut souvent encore l’occasion de se plaindre. Isolée entre deux vastes cours, elle eût pu croire qu’elle allait enfin goûter un repos