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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/18

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latine et un discours français, son père, Me Isidore-Hildebert Mortimard, avait commencé de l’initier aux mystères du papier timbré, nul n’avait vu sourire Espérance. Et, en vérité, quand il apparut en notaire du roi Mystère, cette nuit-là, dans le salon de la maison de la rue de la Roquette, il n’avait jamais moins souri. L’ennui, l’humiliation, et aussi un peu d’effroi, se partageaient l’expression de son visage jaune parcheminé.

À côté de lui, M. Jean-Joseph-Sosthène Bison, greffier de la cour d’assises de la Seine, qui, lui, avait l’habitude de rire, hors de ses fonctions, semblait dans le moment avoir envie de pleurer. Me Mortimard et M. Bison furent moins étonnés de rencontrer en cet endroit M. le procureur impérial que M. le procureur impérial ne fut stupéfait de se trouver face à face avec eux, devenus notaire et greffier du roi !…

— Ah, çà ! s’écria Sinnamari. Qu’est-ce que tout cela veut dire, mon cher Mortimard ? Et vous, que faites-vous ici, monsieur Bison ?

Le notaire répondit :

— Mais, monsieur le procureur impérial, j’ai été appelé ici par un de mes clients.

— Le roi Mystère est votre client ?

— Mais oui, monsieur le procureur impérial.

— Je savais que vous aviez des monarques parmi vos clients, reprit Sinnamari qui n’en pouvait croire ses oreilles.

— Oui, fit Me Mortimard, je m’en flatte : la reine d’Angleterre, le roi de Grèce, le roi d’Illyrie…

— Mais je doute qu’ils soient enchantés d’apprendre que leurs dossiers voisinent avec le dossier du roi Mystère ! répliqua le procureur impérial.

— Je me dois à tous ceux qui viennent requérir l’office de mon ministère, fit le notaire avec onction.

— Et il y a longtemps qu’il est votre client ?

— Le roi Mystère ? Eh bien, mais… depuis un an !…

— Depuis un an ! s’écria Sinnamari. Et vous n’avez pas averti la police, et vous ne m’avez pas averti, moi, votre ami ?

Me Mortimard poussa un soupir que l’on pouvait diversement interpréter, soit qu’on le crût l’expression de l’ennui que lui causait cette sorte d’interrogatoire, soit qu’on imaginât qu’il traduisait le regret que ressentait l’honnête tabellion de n’avoir pu, en effet, avertir la police.

— Vous savez bien, dit Me Mortimard, que nous sommes liés par le secret professionnel…

Et le notaire gémit encore.

— Le secret professionnel ! répartit Sinnamari. Vous me la baillez belle avec votre secret professionnel !… Il n’y a pas de secret professionnel pour les gredins !