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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/197

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sonne. Là, quand un officier passe, on s’aperçoit qu’il n’est armé que d’une plume.

Il y a des gens stupides, qui ne peuvent voir un officier dans un bureau sans dire, par exemple, s’il est colonel : « Pourquoi n’est-il pas à la tête de son régiment ? » ou bien, s’il est général : « Voilà un beau général qui ferait bien à la tête de sa division ! » Eh bien ! Et le service intérieur ? Et les comités ? Et les commissions techniques ? Et les commissions d’études ? Et les commissions de perfectionnement ? Il en faut ! Il en faut ! L’armée ne passe pas tout son temps à se battre, heureusement ! Elle mange, et il lui faut des gamelles ; elle s’habille, et il lui faut des vêtements ; elle se couche, et il lui faut des lits, des lits militaires !

Certes ! Là comme partout ailleurs, on y trouve des brebis galeuses, mais je connais, moi, des officiers d’état-major, qui sont l’honneur de l’armée française.

Cependant ce jour-là — le jour où nous pénétrons dans les bureaux de la guerre — ce brigand de Régine était en train de vendre une décoration — car la vente des décorations n’a pas été, comme on pourrait le croire, une invention de la troisième république — et écoutait les doléances de Mme Demouzin.

Écoutait-il vraiment la bonne dame ? La tête dans les mains, les coudes sur son bureau, était-ce là attitude de profonde et silencieuse attention, ou simplement de fatigue et de prostration ? Mme Demouzin agitait, assez perplexe, les plumes en points d’interrogation de son extravagant chapeau, et disait :

— Je sais, mon cher colonel, je sais le malheur qui vous frappe, et soyez persuadé que nulle plus que moi n’y prend part… Ces pauvres petites… elles étaient si mignonnes… Oh ! elles le sont encore, cher colonel. Il n’est point possible que… Enfin… Vous les retrouverez… Le ciel ne voudra pas !… Avec le pouvoir dont vous disposez… avec la police… avec vos amis, vous les retrouverez…

L’ex-colonel, sans lever la tête, arrêta la bonne dame au milieu de ses protestations :

— Vous avez voulu absolument me parler de l’affaire Maupin de la Jeannotière, madame Demouzin ; je vous prie, dites-moi vite… vite où nous en sommes…

Mme Demouzin fut empêchée de dire un seul mot par l’entrée de l’huissier, derrière lequel on apercevait Philibert Wat.

— Ah ! Vous voilà, monsieur Philibert Wat !…

L’huissier disparut ; Régine, toujours affalé à son bureau, ne fit pas un mouvement. La mère Demouzin :

— Je suis bien aise de vous voir ici, car il faut en finir avec l’affaire Maupin de la Jeannotière… Il a remis soixante mille francs au Chemin de fer, m’a-t-il dit… et s’il n’est point décoré…