Aller au contenu

Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la rue des Moulins et la redescendit. Il passa devant le cabaret des Trois-Pintes et colla son visage contre les vitres. Il constata que Master Bob n’était plus là. À une table, le gnome américain écrivait.

— Qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’il a à écrire toujours comme ça ? se demanda Cassecou. Si quelqu’un peut jamais me dire ce qu’il fiche chez nous, celui-là !… À la place du Dab, ce que je m’en serais déjà débarrassé !…

Et Cassecou reprit sa marche descendante sans se presser. Il aurait été peut-être plus inquiet s’il avait su que son visage collé à la fenêtre des Trois-Pintes avait été aperçu et reconnu par M. Macallan.

Celui-ci, une minute plus tard, était dans la rue.

— Qu’est-ce que Cassecou est venu faire ici ce soir ? se demanda M. Macallan. Il a certainement vu Robert.

La silhouette de Cassecou disparaissait à ce moment à l’angle de la rue des Moulins…

— Je le suivrais bien, fit Macallan tout haut, se parlant à lui-même, mais je n’ai pas le temps.

Il paraissait fort perplexe et très ennuyé d’avoir aperçu la figure de Cassecou dans ces parages.

— Allons, il faut savoir ce qu’ils font à la Porte-Saint-Martin. Pourquoi ne m’a-t-il pas parlé de cela ? C’est étrange… Bizarre !… On ne me roule pas, moi !

Un fiacre passait au coin de la rue de l’Abbaye ; il le héla. Avant de monter dans la voiture, il menaça le cocher de son bâton, lui promettant une raclée magistrale, s’il ne le déposait point dix minutes plus tard à la Porte-Saint-Martin. Le cocher rit et le modeste équipage partit comme le vent, sur la promesse d’un bon pourboire. L’automédon eut cinq sous et injuria l’avorton qui pénétrait déjà dans le théâtre.

On en était au quatrième acte des Martyrs. La pièce en comptait cinq. Macallan était donc arrivé avant le dernier entracte. Il prit un fauteuil de première galerie et immédiatement y grimpa. De là, il pouvait voir sans être vu. Son regard plongeait dans la salle et fit le tour des baignoires. L’une d’elles avait sa grille complètement levée. Il se dit : « Elle est là derrière. »

Sur la scène, le drame du cirque se déroulait. Néron, penché au bord de la loge de pourpre, écoutait avec épouvante la prophétesse, à demi-nue, prête au supplice, qui, debout sur le sable de l’arène, annonçait au maître de l’empire sa fin misérable et prochaine. Au dernier plan, les esclaves commençaient à allumer les chrétiens, torches vivantes, flambeau rayonnant sur le monde romain. Dans la lueur sinistre des flammes dévoratrices, Mlle Marcelle Férand lançait l’imprécation avec un tel enthousiasme de la mort, que la salle tout entière se levait dans une tempête de bravos et de clameurs, dans une ovation sans pareille. Et c’était ainsi tous les soirs. L’œuvre n’avait, au fond, rien que de