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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/242

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regard l’agréable spectacle que Liliane lui offrait, à lui… et au notaire, mais, comme disait la demi-mondaine :

— Un notaire, n’est-ce pas, ce n’est pas un homme !

Liliane, aidée de sa femme de chambre, essayait le travesti qu’elle devait revêtir après le dîner pour jouer son rôle de page amoureux. Elle avait déjà passé son maillot — et c’était cette partie du costume qui intéressait à un point que l’on ne saurait dire le regard concupiscent de l’inflammable Sinna. Jamais il n’avait tant vu les jambes de Liliane, le malheureux ! Et ce maillot qui gantait de soie violette des cuisses admirables, qui moulait toute la jambe fine, longue, nerveuse, le transportait. Il sentait que jamais il n’avait autant désiré cette femme qui, se promettant toujours, ne se donnait jamais… à lui.

Jusque-là, dans ses rêves ardents, il s’était imaginé Liliane nue : il ne savait pas ce qu’un peu de cette nudité, transparaissant sur un maillot de soie, pouvait ajouter à son rêve coutumier. Il se leva un peu pâle et se recula pour ne point se précipiter gloutonnement sur cette jambe qu’avec une innocence et une impudeur égales, Liliane balançait sous le nez de son cher Sinna. L’extrême force touche à l’extrême faiblesse, et le plus vaste orgueil à la plus triste niaiserie. Il y avait des minutes où Sinnamari était niais. Qui l’eût cru ?

Il essayait de se ressaisir, de ne point montrer au notaire le tumulte passionnel qui l’agitait ; il souriait à Liliane comme un gros bêta, mais un coin de conversation, qu’il surprit entre la courtisane et Me Mortimard lui rendit tout à coup le sens de la réalité.

— Alors, tout est en règle, maître Mortimard ? demandait Liliane.

— Mon Dieu, oui, mademoiselle… puisque les signatures sont données, la propriété vous appartient désormais… Il ne me reste plus qu’à remplir le devoir ordinaire de mon état, qui consiste…

— Faites-moi grâce, maître Mortimard !… Je ne connais goutte à tout votre papier timbré, et, du moment que vous me dites que je suis désormais propriétaire…

— Mais, mademoiselle, demanda le notaire, que comptez-vous faire de cette propriété ? Il y a là un pauvre pavillon…

— Je veux avoir « ma folie » en plein cœur de Paris, déclara Liliane.

C’est ici que le procureur intervint.

— De quelle propriété parlez-vous donc ? interrogea-t-il curieux.

— Mais de celle, cher ami, que vous avez la bonté de m’offrir.

— De la maison de campagne de Brétigny ? fit Sinnamari, qui comprenait de moins en moins.

— Eh ! non, de votre petite maison de la rue des Saules !

Le procureur regarda Liliane, le notaire… et comme ils n’avaient point l’air de saisir la raison de sa très apparente stupéfaction.

— Moi ! s’écria-t-il. Moi ? Je vous ai donné ma petite maison de la rue des Saules !