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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/269

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Le comte reprit, semblant tout à coup oublier Sinnamari pour ne s’occuper que de la foule des invités qui l’entouraient :

« J’ai déjà raconté à quelques-uns d’entre vous comment j’ai été amené à faire la connaissance de R. C. et ce qu’un tel événement me coûta. Je ne saurais regretter en vérité l’aventure puisqu’elle m’a permis d’approcher un de ces hommes dont l’existence ne semble possible que dans les romans et qui commande à l’une des plus formidables puissances occultes qui se soient constituées depuis longtemps en marge de la société. Tout ce qu’on a raconté de R. C. est encore au-dessous de la vérité. Je l’ai vu à l’œuvre et son œuvre m’a intéressé, moi que si peu de chose intéresse ici-bas. Je ne vous narrerai point par le détail l’effort superbe qu’il accomplit pendant ces dix dernières années, pour devenir le plus redoutable bandit — dans le sens de chef de bande — des temps modernes et peut-être de l’histoire. Il faut avoir comme moi pénétré dans ces souterrains mystérieux et terribles comme les cercles de l’Enfer du Dante où il a établi les principaux rouages du mécanisme merveilleux qu’il dirige et qui en fait l’un des maîtres du monde. Comment le petit abandonné en est-il arrivé à ressusciter en plein XIXe siècle le pouvoir des Cartouche et des Mandrin ? Qui lui a procuré cette force ? Qui l’a aidé ?

» Certes ! Ayant appris par quelque hasard miraculeux uni par l’indiscrétion de la sage-femme qui avait assisté sa mère à ses derniers moments, de quel supplice il avait à la venger, ayant reconstitué tout le drame qui avait fait de lui le fils d’un guillotiné, il dut sentir bondir en lui une énergie surhumaine et bouillonner dans son cœur l’irrésistible et impétueux désir de rendre coup sur coup à l’injustice des hommes !…

» Mais les rois de l’ombre ont besoin pour vaincre, comme les rois dont la puissance s’étale au soleil, d’argent, de beaucoup d’argent ! Qui lui en a donné ? Qui lui en a donné assez ?… Ses crimes ?… Peut-être !… Qu’importe !… Il n’admet d’autres juges que Dieu et lui ! Et tout semble prouver aujourd’hui que Dieu est avec lui ! Car après avoir satisfait, par son amour des humbles et le secours dont il les a comblés, la haine qu’il a vouée à la société des forts, voilà qu’il touche aujourd’hui au but de toute sa vie, au châtiment terrible de ceux qui firent mourir son père sur l’échafaud, sa mère dans les tourments, et qui livrèrent sa sœur, enfant pure qu’on vola toute jeune à sa protection fraternelle, à la prostitution ! »

Le comte sembla ne pas entendre la plainte douloureuse que, derrière lui, laissait échapper Liliane. Il regardait à nouveau Sinnamari, Régine et Eustache Grimm. Ces deux derniers n’essayaient même plus de dissimuler la terreur qui les avait peu à peu envahis. Ils attendaient… ils attendaient le mot, la phrase, le geste qui allait les condamner, les vouer au supplice promis.

« Oui, continua-t-il, la vengeance de R. C. est prochaine, et j’en