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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/331

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Et alors on vit…

On vit s’avancer en face de la tête de la morte la tête de Sinnamari. Toutes les manifestations de l’horreur étaient gravées en traits affreux sur cette face de damné. Ses yeux, où se lisait une épouvante sauvage, fixaient maintenant, sans pouvoir s’en détacher, les paupières closes de la morte !

Comment était-elle restée, après tant d’années de tombeau, si semblable à elle-même ? Comment l’œuvre de destruction était-elle si peu avancée qu’on eût pu croire que cette femme n’était descendue au tombeau que de la veille ! Sa gaine de ciment et de plâtre l’avait sans doute préservée de la rapide pourriture !… En vérité, elle paraissait encore si vivante dans la mort que Sinnamari, les cheveux dressés sur la tête, la repoussa d’un geste instinctif et désordonné, comme s’il l’avait déjà vue s’avancer vers lui, d’un pas d’outre-tombe !…

Derrière Sinnamari, un homme prononça alors des paroles étranges dans une langue inconnue. Et ces paroles furent accompagnées d’un geste si souverain que la morte lui obéit. Oui, à l’appel de Teramo-Girgenti, la morte elle-même répondit. Les yeux que l’on croyait clos à jamais s’ouvrirent, la bouche respira… la poitrine haleta… et la morte se mit en marche !… se mit en marche vers Sinnamari…

L’assemblée recula dans un désarroi indescriptible… Deux femmes s’évanouirent de terreur… Les hommes tremblaient comme des enfants dans les ténèbres ; le procureur général saisit le poignet de Teramo-Girgenti, mais retira aussitôt sa main, car il avait eu la sensation de toucher un bras de feu… et il raconta plus tard que Teramo, à ce moment, brûlait comme un fer rouge !

La morte sortit du mur… Sinnamari était tombé à genoux… On assista à ce spectacle plus extraordinaire encore que celui d’une morte qui se met en marche : Sinnamari, ne pouvant plus marcher, tombant à genoux. La morte le toucha. Et il crut tout de suite qu’il allait mourir !… Elle ne dit qu’un mot :

— Assassin !

Et lui ne répondit qu’un mot :

— GRÂCE !

Et ce mot, le mot de l’aveu, ayant passé comme un souffle sur la tête de tous les assistants, le caveau fut aussitôt plongé dans les ténèbres. Et chacun resta ainsi un instant, se demandant ce qui allait sortir des ténèbres. Il en sortit cette chose effrayante qui fit hurler Sinnamari… À la place de la morte, il y avait Liliane !… Sinnamari comprit de quelle illusion formidable il avait été le jouet et de quelle trahison sa maîtresse s’était rendue coupable ! C’est elle qui l’avait perdu, elle dont il se croyait aimé !…

— Comédie !… hurlait-il. Comédie !

Mais une voix couvrait déjà la sienne…