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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/64

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— Non Desjardies, répondait-il, non !… Gardez-la jusqu’à la dernière minute… elle vous donnera du courage… Pourquoi vous en séparer maintenant ? Pourquoi vous causer cette peine ?…

— Acceptez-la, je vous en prie, tout de suite, en souvenir de moi ! insista le condamné.

Et, comme sa main pressait étrangement celle du moine, il comprit qu’il devait accepter le cadeau.

Il fit disparaître la photographie sous sa robe de bure. Les gardiens avaient assisté naturellement à ce court épisode qui ne leur avait semblé nullement suspect.

Il n’est point difficile de comprendre à quel mobile obéissait le prisonnier en se séparant de la photographie de sa fille. Desjardies avait soudain réfléchi que c’était le meilleur moyen d’avertir le prêtre qu’il n’eût point à le précéder au moment du supplice. Car enfin, après tout… On lui disait d’espérer… On allait donc tenter quelque chose pour lui… on allait essayer… Et ce n’était point à lui, Desjardies, à apporter des entraves à ceux qui ne désespéraient point de le sauver… Le prêtre lirait certainement l’inscription qui se trouvait sur le dos du portrait et ne serait donc point étonné d’entendre Desjardies, au moment au supplice, refuser son aide… Enfin, Desjardies était persuadé que, quoi qu’il arrivât, le moine ne le trahirait pas…

Le père Saint-François adressa encore quelques paroles d’encouragement à Desjardies et se leva. Un gardien alla tirer le cordon d’une sonnette ; le gardien-chef revint ouvrir la porte. Dans le même moment que le prêtre s’en allait, le dîner du prisonnier arrivait. Il mangea d’assez bon appétit, but un verre de vin et se coucha.

Chose qui ne lui était pas arrivée depuis longtemps, il s’endormit tout de suite. Vers une heure, il s’éveilla en poussant un grand cri… Les deux gardiens vinrent à lui…

Il avait le front en sueur et, la voix tremblante, il dit :

— Ce n’est rien ! Je rêvais !…

Et il regarda les gardiens ; ce n’étaient plus les mêmes. Ce gardien-là, en face de lui, à la tête de sa couchette, il le reconnaît… Voilà les petits yeux d’albinos, la figure falote, la barbiche blonde… C’est le gardien qui marchait derrière lui lors de la dernière promenade dans la cour… le seul homme qui ait pu écrire sur la photographie les mots étranges qu’il y a trouvés…

Desjardies se soulève sur sa couche, s’assied, dévisage cet homme. Qu’y a-t-il dans ces yeux d’albinos ? Répondront-ils à sa muette interrogation ?… Non. Ils se taisent… ils n’expliquent rien, les yeux d’albinos, rien… Et le gardien reste aussi impénétrable que s’il n’avait rien à cacher !

De la voix la plus naturelle du monde, le gardien prie Desjardies de