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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/80

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— Oui, Robert !… C’est Robert qui vous commande d’espérer ! fit entendre Mystère d’une voix si douce et si nouvelle que tous ceux qui étaient là en furent étrangement frappés.

— Il n’y a plus d’espoir… Desjardies est mort ! répliqua la voix de Sinnamari, sinistre comme un glas.

Et comme Gabrielle, à cette parole maudite, se laissait aller, sans force, aux bras de Mystère, celui-ci, avant qu’elle ne fermât les yeux, lui montra un homme qui venait d’apparaître sur le seuil d’ombre, sur le seuil de la porte secrète qu’elle avait elle-même franchie tout à l’heure, et lui dit, de sa voix la plus calme :

— Monsieur le procureur impérial a menti, mademoiselle : votre père est vivant !

Et il remit le précieux fardeau, qui lui glissait des mains, aux mains de Desjardies sauvé !

Aussitôt, on entendit un grand fracas qui domina les cris d’enthousiasme des uns et les clameurs de rage des autres ; c’était l’étrange petit personnage, gnome, nain, enfant, vieillard (il y avait des moments où on lui eût donné dix ans par derrière et cent ans par devant), qui dégringolait du haut de son immense tabouret dont il avait tenté à nouveau l’ascension pour mieux voir, et qui accourait avec un grand bruit de bottes vers R. C. dont il secouait la main avec une énergie farouche, cependant que, les yeux brillants, la mine écarlate, il laissait tomber ces deux mots, qui exprimaient évidemment toute la satisfaction qu’il ressentait d’avoir assisté à des événements extraordinaires :

All right !

Êtes-vous jamais allé rue des Saules ? Et d’abord, la rue des Saules, surtout à l’époque où se déroule ce drame inouï, était-elle une rue ? Si quelques planches pourries, des murs croulants, de sordides enclos bordant un ravin cahoteux forment une rue, oui, cette voie sinistre avait droit au nom de rue, mais à cause de cela seulement, car, en vérité, elle ne possédait en fait de maisons qu’une petite vieille auberge, qui se tenait encore debout par on ne sait quel miracle du temps et de la volonté de son propriétaire, une petite auberge qui s’appelait tout simplement à cette époque l’Auberge du Bagne.

On m’a bien raconté qu’elle avait changé de nom après la guerre et qu’elle s’était appelée Auberge des Assassins, mais je ne saurais certifier en aucune façon qu’il s’agit de la même, d’autant plus qu’on me dit maintenant que cette Auberge des Assassins s’appelle de nos jours — de nos jours actuels — le Lapin agile.

Quand on avait poussé la porte de mon auberge, on se trouvait tout de suite intéressé par la décoration fort artistique et fort sanglante des murs. Les scènes de meurtre, de rixe, de pillage, de vengeance et