Aller au contenu

Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

DEUXIÈME PARTIE

LA PETITE MAISON
DE LA RUE DES SAULES

I

LA COLÈRE DE SINNAMARI

La colère de Sinnamari était gigantesque. Cet homme d’une incroyable audace, d’une astuce prodigieuse, d’une faculté d’intrigue telle que pour en retrouver le type il eût fallu puiser dans l’histoire des petites républiques italiennes du seizième siècle, qui eût pu écrire le Traité du prince, si Machiavel avait oublié de le faire ; ce magistrat, dont la tête formidable de forçat en rupture de ban, de « Trompe-la-Mort » qui a réussi à se recaser parmi les vivants, avait dans certains moments des airs de finesse florentine, ce bandit de génie qui devait être né entre Toulon, la ville des bagnes, et Florence, la ville des Médicis, qui ressemblait à Vautrin et qui agissait comme Mazarin, dont il avait l’avarice, cet homme que de honteux et nécessaires services publics rendus à plusieurs ministres — qui savaient où le trouver aux heures de crise politique — et aussi que le crime privé avait conduit à l’une des premières places de la magistrature française, revenait de cette fameuse nuit de la place de la Roquette, beaucoup moins furieux d’avoir été joué, berné, ridiculisé personnellement, que d’avoir vu, de ses propres yeux vu, se dresser au-dessus de la puissance de l’État, une sorte de héros de roman comme en créent les imaginations en délire des plus extraordinaires hommes de lettres, et tel qu’il eût juré, encore la veille, que de pareilles figures ne pouvaient et n’avaient jamais existé en chair et en sang !

Ainsi, il s’était trouvé réellement un homme pour accomplir dans les ténèbres l’œuvre d’intrigue et de force qu’il avait accomplie, lui, au grand jour. Pendant que, lui, Sinnamari, travaillait à l’édifice de sa fortune sur la place publique, il y avait quelqu’un qui avait osé établir la sienne au-dessous du forum, dans l’ombre, dans le secret inquiétant des