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— Il n’est qu’un seul Dieu, ma mère, et je l’honore en gardant sa loi.

— Restera-t-il sourd à ma voix, le cœur que j’ai formé ! Ton Dieu t’ordonne-t-il de désespérer ta mère, de déshonorer ta famille ! Exécrable est la croyance qui te conseille ainsi ! Sacrilége et dénaturé est celui qui s’élève contre la religion de ses pères et les lois de sa patrie !

— Ô ma mère, les liens du sang ne peuvent engager l’âme. Je t’aime plus que ma vie ; mais j’aime la justice plus que toi.

— Faudra-t-il me prosterner à tes genoux ? Vois ta mère suppliante et désolée. Ne rejette pas ma prière, ô mon fils ! Veux-tu que je traîne dans les larmes une vieillesse sans appui ! Étais-je appelée a te survivre ? Qui me fermera les yeux ? Ah ! mon fils, tu abreuves qe douleur le sein qui t’a porté ! Est-ce là le prix de tant de soins ? Est-ce pour une telle fin que j’élevai ton enfance ? Laisse ma voix pénétrer jusqu’à ton cœur ! Ne donnes pas la mort à celle qui t’a donné la vie !

Elle embrassait les genoux de son fils qvec des sanglots et des étreintes convulsives, et, près d’elle, Myrtis agenouillée couvrait la main de son frère de larmes et de baisers. Novator fléchit un instant sous le poids de ses émotions. Enveloppant de ses bras sa mère et sa sœur, il les pressa sur son cœur avec des larmes, des cris et des caresses, répandant toute son âme dans cet embrassement. Marcia tressaille d’espérance ; mais tout à coup, se dégageant de leurs bras, il s’enfuit en leur criant : À Dieu !

Depuis une heure à peine, il gémissait devant Dieu, quand le geôlier vint le chercher encore : c’était Délia.

— Je viens savoir, dit-elle, si les Chrétiens gardent leur parole. Tu m’as promis ton amour et ta protection. Je t’aime. Viens ; César se laissera fléchir.

— Ô Délia, dit-il, faut-il que mes affections les plus chères s’élèvent contre moi à l’heure où j’ai besoin de force ! Tu fus autrefois ma plus chère espérance. Ne me rappelle pas que la vie peut être enivrante, quand je vais mourir.

— Je t’aime, dit-elle, ô mon fiancé ! Toi qui me juras un amour éternel, ne m’abandonne pas jeune et faible dans la vie. Conserves, si tu veux, ta croyance ; mais renfermes-la dans ton cœur.

— Vaine et fausse est une croyance cachée ! L’arbre qui ne porte point de fruits sera coupé et jeté au feu. Tu m’as suivi au temple des Chrétiens, Délia ; est-il une religion plus belle et plus pure ? Au milieu de ce monde criminel, dont les vices t’épouvantent, elle est le phare du salut.

— Que sais-je ? répondit-elle. Le respect des règles établies n’est-il pas notre religion, à nous autres femmes ? Notre esprit ne fut point enseigné à réfléchir. Ce qu’on m’a dit être juste et nécessaire, en m’imputant à crime le doute, puis-je sans frémir te le voir combattre !

— Ô Délia, si je pouvais te convaincre ! tu serais mon épouse dans le ciel.

— Je veux t’aimer sur cette terre, Novator. Mon amour pour toi sera ma foi. Ne sommes-nous pas nées pour être ici-bas vos compagnes dévouées ? Tous les bonheurs de l’amour, je les répandrai sur toi. Regarde-moi ; comme autrefois, ne me trouves-tu pas belle ! Plus d’un jeune patricien envie le sort de mon fiancé. Veux-tu me forcer à t’être infidèle, toi, l’époux de mon cœur !

— Délia !…

— Rentres dans la vie où tous les biens t’attendent. Viens, je t’aime ! Viens, tout mon bonheur est en toi…

Elle l’implorait encore qu’il n’était plus là.

Puis, l’esclave favori de Claudius vint apporter à Novator les tablettes de son maître, sur lesquelles ces mots étaient tracés : « Descendrai-je dans la tombe avec la honte d’avoir engendré un traître, ennemi des dieux et des hommes ? »

Novator répondit : « Fier de mourir pour une croyance immortelle, ma seule peine est la douleur des miens. »

L’heure étant arrivée, ils furent conduits au supplice, liés deux à deux. Le peuple, attroupé sur leur passage, les accablait d’injures et de malédictions. Près du cirque, une jeune fille perça la haie des gardes et vint s’agenouiller devant Novator. C’était Chloé, une des esclaves de Marcia. Il crut qu’elle lui apportait un dernier souvenir de ceux qu’il aimait. Mais elle lui dit : — Maître, je veux mourir avec toi pour la liberté des hommes. Au milieu de l’avilissement où j’étais plongée, toi seul, tu m’as fait entendre des paroles fraternelles. Tu relèves l’Humanité flétrie ; je t’honore comme un dieu ! Permets-moi de mourir près de toi pour la religion qui affranchit l’esclave.

Novator la relevant, et traçant sur son front le signe de la croix :

— Ma sœur, dit-il, sois chrétienne, et vis pour propager ta foi.

Le cirque, provisoirement reconstruit, était orné pour la fête de guirlandes de fleurs, et sur ses gradins se pressait une foule immense de peuple. À des places réservées étaient le sénat et la cour. Le sénateur Claudius était venu témoigner par sa présence de sa fidélité aux lois et à César. La nuit tombait. Tout à coup éclatèrent des clartés et des gémissements. Des flambeaux vivants éclairaient les jeux, pendant lesquels, revêtus de peaux de bêtes, les autres Chrétiens furent déchirés par les lions. Néron souriait.

Épouvanté, le fils d’un procurateur de province, enfant de dix ans à peine, qui assistait à ces jeux, voulut s’enfuir. Mais son père le retint et le cacha sous sa toge. Cet enfant, nommé Cornélius Tacitus qui plus tard parvint à la dignité de consul et que la postérité plaça au premier rang des historiens, devait écrire un jour : « Pour détruire ces bruits (les bruits qui accusaient Néron de l’incendie), Néron fit subir les plus cruelles tortures à des malheureux abhorrés pour leurs infamies, qu’on appelait Chrétiens. Le Christ, qui leur donna son nom, avait été condamné au supplice sous Tibère, par le procurateur Ponce-Pilate, ce qui réprima pour le moment cette exécrable superstition. Mais bientôt le torrent déborda de nouveau, non seulement dans la Judée, où il avait pris sa source, mais jusque dans Rome même, où viennent enfin grossir et se rendre tous les égoûts de l’univers. On commença par se saisir de ceux qui s’avouaient Chrétiens, et ensuite, sur leur déposition, d’une multitude immense, qui fut moins convaincue d’avoir incendié Rome que de haïr le genre humain.

»… quoique coupables et dignes des derniers supplices, on se sentit ému de compassion pour ces victimes, qui semblaient immolées moins au bien public qu’au passe-temps d’un barbare[1]. »

Comme Néron sortait du cirque, un Romain se glissant jusqu’à lui, le frappa d’un poignard. La cuirasse de mailles d’acier que Néron portait amortit le coup. Le meurtrier fut saisi et reconnu pour Camillus, ami de Novator. Aussi imputa-t-on ce nouveau crime à la doctrine des Chrétiens, et, aux noms d’impies et d’incendiaires qu’on leur donnait, on ajouta celui d’assassins.

VICTOR LÉO.


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