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Page:Leroux - Revue sociale - volume 3 1845-46.djvu/597

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— À cette entreprise, à cette propagande religieuse et pacifique, véritablement et profondément révolutionnaire, nous aurions voulu consacrer toutes nos forces. Le talent aurait pu nous faire défaut, la volonté jamais.

Mais à peine quelques mois se sont écoulés depuis le jour où a paru notre premier numéro et voici qu’une loi dirigée contre la pensée, contre la manifestation de cette raison humaine, incarnation de Dieu sur la terre, une loi plus oppressive que toutes celles inventées sous la monarchie, nous oblige à suspendre notre journal. Ô bonne foi de nos modernes inquisiteurs ! Ils se prétendent les amis des classes pauvres ; leur voix s’émeut quand il parlent des misères des prolétaires et de la nécessité d’y remédier, et ils ferment la bouche de ceux qui ont cherché de tout leur cœur, de toute leur intelligence la solution de ce douloureux problème ! Persécuteurs de la pensée moderne, vous qui voulez éteindre le flambeau de l’avenir, de quelle doctrine emprunterez-vous donc la lumière dont le peuple a besoin pour échapper à des maux intolérables ? Vous êtes sans Dieu, sans foi, sans entrailles la compression, tel est le premier mot et le dernier de votre philosophie ; et c’est avec cela que vous prétendez sauver la société ! Défenseurs de l’ordre, vous semez le désordre et la guerre, fille de l’ignorance et de la crédulité !

La loi nouvelle contre la presse serait un irréparable malheur public si réellement elle pouvait atteindre le Socialisme qu’elle veut frapper. Mais le Socialisme est le salut du monde, des riches comme des pauvres, et quelques combinaisons de législateurs éphémères ne sauraient triompher de la loi supérieure, de la loi divine qui promit l’empire du monde à la justice. La Revue Sociale peut mourir ; d’autres plus forts que nous peuvent être contraints au silence, mais le Socialisme est invincible et c’est lui qui a le droit de prendre pour devise ces paroles du Deutéronome : Levabo ad cœlum manum meam et dicam : Vivo ego in æternum : « Je lèverai ma main vers le ciel et je dirai : Je suis éternel. »

Désormais la propagande socialiste bravera toutes les dois, tous les préfets et toutes les polices. Assez parmi nous ont reçu la bonne semence ; assez d’hommes de bonne volonté ont été initiés par les combats d’idées de ces deux ans de révolution pour que la parole suffise à défaut de la presse. On nous ferme la place publique ; rentrons au foyer et redisons à nos amis, à nos voisins, à nos enfants qui les répéteront de même les paroles de salut : Hommes, nous sommes tous libres, égaux et frères.

Du reste, nous n’en sommes pas encore à ce degré d’oppression. La Presse est l’hydre des temps modernes. Les gouvernements contre-révolutionnaires qui frappent une de ses têtes en voient bientôt renaître dix. La Revue Sociale elle-même suspend ses publications mais elle espère les reprendre dans peu de temps sous une forme nouvelle et offrir à ses abonnés un recueil paraissant à des intervalles plus rapprochés, et confié à un plus grand nombre de rédacteurs.

Si cette espérance devait être trompée, nous pouvons du moins nous rendre ce témoignage que l’œuvre dont la loi sur la presse interrompt le cours fut toute de dévouement à notre cause. Pendant huit mois, nous n’avons épargné aucun sacrifice pour donner un organe de plus au Socialisme. Il fallait l’obstacle trop au-dessus de nos forces que l’on vient de nous opposer pour nous empêcher de continuer.


Le Gérant : LOUIS NÉTRÉ