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ROULETABILLE CHEZ KRUPP

tyre ! ma Nicole torturée ! Ah ! la fin du monde ! plutôt ! la fin du monde !… Qu’est-ce que me fait le monde à moi ! qu’est-ce que me font Paris et toutes les villes de la terre ?… Je ne veux plus te voir, comme je t’ai vue sur un misérable grabat, au fond d’un cachot, je ne veux plus t’entendre soupirer de douleur !… ma Nicole ! ma Nicole !… Dis-moi quelque chose ! Tiens ! maudis-moi ! mais que j’entende le son de ta voix !… si tu savais ! si tu savais !… Ils m’ont montré des photographies, les monstres !… des photographies atroces de pauvres prisonniers russes qu’ils ont martyrisés en Pologne… Des membres rompus… des seins arrachés par des tenailles brûlantes !… toutes les horreurs de l’enfer !… et ils m’ont dit que tout cela t’était réservé !… Alors, comprends !… je n’ai pas pu !… je ne peux pas !… je ne peux pas ! Mon Dieu ! je ne peux pas ! non ! non !… »

« Et le malheureux, dans une crise effrayante, ayant été repoussé du pied par Nicole, se releva en titubant et me montra sa face de démon que je n’avais pas encore aperçue !

« Effroyable vision ! La hideur et la douleur s’étaient réunies pour faire de ce masque la chose la plus tragique et la plus épouvantable qui se pût concevoir !…

« Ah ! qu’il était laid, cet homme, et qu’il souffrait ! et comme il faisait pitié ! Toute ma vie j’aurai la crispation atroce de cette horrible et magnifique hideur dans les yeux ! Toute ma vie, j’aurai ces pleurs lamentables et ces gémissements désespérés dans mes oreilles ! Il se releva en s’arrachant les cheveux et en s’écriant :

« — Si encore je pouvais mourir !… Mais je ne peux pas mourir ! Oui ! ils ont encore trouvé cela ! la mort elle-même m’est défendue !… la mort ne veut pas de moi !… Tu ne sais pas, toi, tu ne sais pas que si je meurs avant d’avoir mené à bien leur œuvre maudite, ils m’ont promis de te brûler à petit feu !… à petit feu ! entends-tu ! »