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Page:Leroux - Rouletabille chez le Tsar.djvu/140

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L’ILLUSTRATION

l’escalier de la véranda, passa devant le salon, prononça les mots qu’il fallait et monta au premier étage. Koupriane et Rouletabille regardaient maintenant les fenêtres du premier étage. Les ombres y furent, tout à coup, immobilisées ; et tout remue-ménage cessa ; on n’entendit plus le bruit des pas sur le plancher, plus rien. Et ce silence subit fit que les deux médecins levèrent la tête vers le plafond. Puis leur regard se croisa. Ce changement d’apparence dans les choses d’en haut était dangereux. Koupriane murmura : «  Les maladroits !  » Ils avaient reçu le coup, là-haut, et, d’apprendre qu’ils marchaient sur une mine prête à exploser, cela leur avait évidemment brisé les jambes. Heureusement, Ermolaï réapparut presque aussitôt et dit aux médecins, avec un bon sourire de domestique bien stylé :

— Une petite seconde, messieurs, s’il vous plaît ?…

Et cela, tranquillement, naturellement. Et il retourna à sa loge pour revenir auprès de Koupriane et de Rouletabille par les pelouses. Rouletabille, très froid, très maître de lui, aussi calme maintenant que Koupriane était nerveux, inquiet, disait au préfet de police :

— Il faut agir, et vite. Pour moi, ils commencent à se douter de quelque chose. Avez-vous un plan ?…

— Voilà ce que je viens de trouver, fit Koupriane. Faire descendre le général par le petit escalier de service et le faire sortir de la maison par la fenêtre du petit salon de Natacha, à l’aide d’un drap. Matrena Pétrovna viendra leur parler pendant ce temps-là ; ça leur fera prendre patience en attendant que le général soit hors de danger. Aussitôt Matrena se retire dans le jardin où j’ai appelé mes hommes qui les fusillent à distance.

— Et la maison saute ! Et les amis du général aussi !

— Qu’ils tentent donc de descendre également par l’escalier de service et qu’ils se laissent rapidement tomber derrière le général ! Il faut bien essayer quelque chose… Dire que je les tiens au bout de mon revolver !…

— Votre plan n’est applicable, répondit Rouletabille, que si la porte du petit salon de Natacha est fermée sur le grand salon.

— Elle l’est ! Je la vois d’ici…

— Et si la porte de l’office où donne le petit escalier est fermée également sur le grand salon… Et vous ne pouvez pas la voir…

— La porte de l’office est ouverte ! dit Ermolaï.

Koupriane jura. Mais il se reprit presque aussitôt.

— La générale, en leur parlant, fermera la porte de l’office.

— Impraticable ! fit le reporter. Leur attention sera, plus que jamais, éveillée. Laissez-moi faire. J’ai mon plan.

— Lequel ?

— J’ai le temps de l’exécuter, pas celui de vous le raconter. Ils ont déjà trop attendu ! Mais il faut que je monte près des autres, là-haut. Qu’Ermolaï m’accompagne, comme un familier de la maison !

— Je monte avec vous !

— S’ils vous aperçoivent, vous leur donnez l’éveil, vous, le préfet de police ?…

— Allons donc ; du moment où ils m’apercevront — et ils savent que je dois être là — du moment que je me montre à eux, ils en concluront que je ne sais rien !…

— Vous avez tort.

— C’est mon devoir ! Je dois être auprès du général pour le défendre jusqu’à la dernière minute.

Rouletabille haussa les épaules devant ce dangereux héroïsme, mais ne s’attarda pas à discuter. Il fallait que son plan réussît tout de suite, ou, dans cinq minutes au plus tard, il n’y aurait plus que des ruines, des morts et des mourants à la datcha des Îles.

Rouletabille, cependant, restait étonnamment calme. En principe, il avait admis qu’il allait mourir. La seule chance de salut qui leur restât résidait tout entière dans leur sang-froid, à eux, et dans la patience des bombes vivantes. Auraient-elles encore trois minutes de patience ?