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L’ILLUSTRATION

— Moi !… Moi !… s’exclama, radieux, Rouletabille !… c’est moi qui ai monté ce beau coup-là ! Hein ? croyez-vous que c’était arrangé !… C’est moi qui vous en ai débarrassés !… Ah ! je savais bien, voyez-vous !… je savais bien, messieurs, tout au fond de moi-même, que je ne pouvais pas, moi, m’être trompé… Deux et deux font toujours quatre, n’est-ce pas ?… et Rouletabille est toujours Rouletabille !… Messieurs, il y a du bon !…

Mais il est probable qu’il y avait aussi du mauvais, car le gentleman de la Néva s’avança la casquette à la main et lui dit, d’un air fort triste :

— Monsieur, vous savez donc pourquoi les attendus de votre jugement ne relèvent point contre vous un fait qui était au contraire tout en votre faveur. Maintenant, il ne vous reste plus qu’à laisser exécuter une sentence qui est entièrement justifiée par ailleurs…

— Ah ! mais ! ah ! mais ! attendez donc un peu, que diable !… Maintenant que je suis sûr de ne pas m’être trompé et que je suis toujours Rouletabille, je tiens à la vie, moi…

Un murmure hostile prouva au condamné que la patience de ses juges commençait à avoir des bornes.

— Monsieur, demanda le président, nous savons que vous n’appartenez pas à la religion orthodoxe. Néanmoins, nous tenons un pope à votre disposition…

— Oui ! Oui ! c’est cela ! faites venir le pope ! cria Rouletabille.

Et, en lui-même, il se dit : « C’est toujours ça de gagné. »

Un des révolutionnaires s’en fut vers l’une des petites cabanes, qui avait dû être transformée en chapelle, cependant que les autres compagnons regardaient le reporter avec moins de sympathie que tout à l’heure. Si sa bravoure les avait agréablement influencés, ils commençaient à être profondément dégoûtés par ses cris, ses protestations et toute cette mimique qui était évidemment destinée à retarder l’heure de la mort.

Et, tout à coup, Rouletabille monta sur l’escabeau fatal. On crut qu’il était enfin décidé à mettre fin à cette comédie et à mourir convenablement ; mais il n’était monté là-dessus que pour prononcer un discours :

— Messieurs !… comprenez-moi bien !… Du moment où vous ne me supprimez pas pour venger Michel Nikolaïevitch… pourquoi me pendez-vous ?… Pourquoi m’infligez-vous cet odieux supplice ? Parce que vous m’accusez d’être la cause de l’arrestation de Natacha Féodorovna !… Évidemment j’ai été maladroit, de cela seul je m’accuse…

— C’est vous qui, avec votre revolver, avez donné le signal aux agents de Koupriane !… Vous avez fait œuvre de bas policier !…

Rouletabille voulait en vain protester, s’expliquer, dire que son coup de revolver avait, au contraire, sauvé les révolutionnaires. Mais on ne voulut pas l’entendre ou on ne le crut pas.

— Voici le pope, monsieur, fit le gentleman de la Néva.

— Une seconde !… Ce sont mes dernières paroles et je vous jure qu’après je me passe moi-même la corde au cou… mais écoutez-moi !… écoutez-moi bien ! Natacha Féodorovna était pour vous la plus précieuse des recrues, n’est-ce pas ?…

— Un véritable trésor ! déclara la voix de plus en plus impatientée du président.

— C’est donc un coup terrible… continuait le reporter… un coup terrible pour vous que cette arrestation…

— Terrible ! reprirent quelques-uns…

— Ne m’interrompez pas !… Eh bien, moi, je vais vous dire : Si je parais ce coup-là !… Si, après avoir été la cause inconsciente de l’arrestation de Natacha, je faisais remettre en liberté la fille du général Trébassof !… hein ?… et cela, dans les vingt-quatre heures !… Qu’en dites-vous ?… est-ce que vous me pendriez toujours ?…

Le président, celui qui avait la figure douce de Jésus, au jour des Rameaux, dit :

— Messieurs ! Natacha Féodorovna est tombée, victime d’une terrible machination dont nous n’avons pu jusqu’alors pénétrer le mystère. Elle est accusée d’avoir