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L’ILLUSTRATION

— Oh ! pardon, sire !… pardon !…

— Je tenais à vous dire que, venu chez moi pour m’aider contre mes ennemis, ceux-ci n’ont point trouvé de plus solide ni de plus criminel appui que le vôtre !

— De quoi m’accuse-t-on, sire ?

— Koupriane…

— Ah ! ah !… pardon…

— Mon grand maître de police s’est justement plaint que vous vous soyez jeté au travers de tous ses desseins et que vous ayez tout mis en œuvre pour les faire échouer. D’abord, vous avez éloigné ses agents qui vous gênaient, paraît-il ; ensuite, dans le moment où il allait saisir la preuve de l’abominable alliance de Natacha Féodorovna avec les nihilistes qui tentaient d’assassiner son père, votre intervention a permis que cette preuve lui échappât… et de ce haut fait, monsieur, vous vous êtes vanté !… de telle sorte que l’on peut vous considérer comme responsable des attentats qui ont suivi. Sans vous, Natacha n’aurait pas tenté d’empoisonner son père ! Sans vous, on ne serait pas allé chercher ces médecins qui ont fait sauter la datcha des Îles ! Enfin, pas plus tard qu’hier, alors que ce serviteur fidèle avait dressé contre les principaux révolutionnaires un piège auquel ils ne pouvaient échapper, vous avez eu l’audace, vous, de les avertir ! Et ils vous doivent leur salut !… Monsieur, voilà bien des attentats contre la sûreté de l’État, et qui méritent le pire châtiment !… Comment ! vous êtes sorti un jour d’ici en me promettant de sauver le général Trébassof de toutes les trames assassines qui s’ourdissaient dans l’ombre !… et vous faites le jeu des assassins !… Votre conduite est aussi misérable que celle de Natacha Féodorovna est monstrueuse !

L’Empereur se tut et regarda Rouletabille qui n’avait pas baissé les yeux.

— Qu’avez-vous à me répondre ?… Maintenant, parlez !…

— J’ai à répondre à Votre Majesté que je viens prendre congé d’elle parce que ma tâche ici est terminée… Je vous avais promis la vie du général Trébassof : je vous l’apporte ; elle ne court plus aucun danger !… J’ai à répondre encore à Votre Majesté qu’il n’existe pas au monde de fille plus dévouée à son père, dévouée jusqu’à la mort, de fille plus sublime que Natacha Féodorovna, ni de plus innocente !…

— Prenez garde, monsieur, je vous avertis que j’ai étudié cette affaire personnellement, de très près !… Vous avez les preuves de tout ce que vous avancez là ?…

— Oui, sire !

— Et moi, j’ai la preuve que Natacha Féodorovna est une misérable !

— Non, sire !

À ce démenti, jeté d’une voix ferme, l’Empereur se leva, le rouge de la colère et de la majesté outragée au front. Cependant, après ce premier mouvement, il parvint à se contenir, ouvrit brusquement un tiroir, y prit des papiers et les jeta sur la table.

— Les voilà !…

Rouletabille se pencha sur les papiers.

— Vous ne savez pas lire le russe, monsieur !… Faut-il que je vous le fasse traduire ?… Apprenez donc qu’il y a là un échange mystérieux de lettres entre Natacha Féodorovna et le comité central révolutionnaire et qu’il ressort de cette lecture que la fille du général Trébassof est parfaitement d’accord avec les bourreaux de son père pour l’exécution de leur abominable projet !

— La mort du général ?…

— Parfaitement !

— J’affirme à Votre Majesté que ça n’est pas possible !…

— Petit entêté, je vais vous lire…

— Inutile, sire, c’est impossible… il peut être question ici d’un projet… mais je suis fort étonné que ces messieurs aient été assez imprudents pour écrire en toutes lettres qu’ils comptaient sur Natacha pour empoisonner son père…

— Cela, en effet, n’est pas écrit, et vous vous rendez bien compte vous-même que cela ne saurait l’être… Il n’en résulte pas moins que Natacha Féodorovna était d’accord avec les nihilistes !