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L’ILLUSTRATION

Féodor Féodorovitch, qui avait encore un peu la fièvre, et de Thadée Tchichnikof, le Lithuanien, qui avait les deux jambes cassées.

Dans le wagon même, il fallut prendre la dernière bouteille de champagne (première marque). Et quand il ne resta plus rien dans la bouteille et que l’on se fut bien embrassé, comme le train ne partait pas encore, Athanase Georgevitch fit déboucher une seconde dernière bouteille. C’est alors que M. le grand maréchal arriva, tout essoufflé. On l’invita et il accepta. Mais il avait hâte de parler à Rouletabille en particulier et il entraîna, un instant, en s’excusant, le reporter dans le couloir.

— C’est l’Empereur qui m’envoie, exprima avec émotion ce haut dignitaire. Il m’envoie à cause des édredons ! Vous avez oublié de lui parler des édredons !

Niet ! répondit en riant Rouletabille. Cela n’est rien ! Nitchevo ! Les édredons de Sa Majesté devaient être déjà du plus fin « eider », ainsi que l’une des plumes que vous m’avez montrées l’atteste. Eh bien !… qu’il les fasse ouvrir maintenant ! ils sont du plus vulgaire canard, comme la seconde plume le prouve. Le retour des édredons au canard, avant le soir, prouve donc déjà que l’on espérait que la substitution passerait inaperçue. Voilà tout ! Caracho ! Bombe au canard ! À votre santé ! Vive le tsar !…

Caracho ! Caracho !

La locomotive sifflait quand on vit accourir un couple, un homme et une femme, qui suaient et fondaient comme du suif : c’étaient M. et Mme  Gounsovski.

Gounsovski monta sur le marchepied :

Mme  Gounsovski a tenu à venir vous serrer la main. Vous lui êtes très sympathique.

— Compliments, madame !

— Dites-moi, jeune homme, vous avez encore eu tort de ne pas venir hier déjeuner chez moi. Je vous aurais certainement évité une petite course désagréable en Finlande !…

— Je ne la regrette pas, monsieur !…

Le train s’ébranla. On cria : « Vive la France ! Vive la Russie ! ». Athanase Georgevitch pleurait, Matrena Pétrovna, à une fenêtre de la gare, où elle se tenait discrètement, agita un mouchoir du côté du cher petit domovoï-doukh qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs, et qu’elle n’osait pas aller embrasser après cette terrible affaire du faux poison et la terrible colère du tsar !

Le reporter lui envoya un gracieux baiser.

Comme il l’avait dit à Gounsovski, il ne regrettait rien.

Tout de même, quand le train prit son élan vers la frontière, Rouletabille se laissa retomber sur les coussins et fit :

— Out !…


fin