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L’ILLUSTRATION

— Cest tout ce que j’ai trouvé. Je lui en connais deux autres encore. Elle en a une sur sa tête, ou deux peut-être, je ne les trouve pas.

— Reportez celles-ci où vous les avez trouvées, fit le reporter, après leur avoir accordé un coup d’œil.

Matrena revint tout de suite, ne comprenant rien à ce qui se passait.

— Et, maintenant, vos épingles à vous ? Oui, vos épingles à chapeau ?

— Eh ! je n’en ai que deux, et les voilà, dit-elle en les retirant de sa toque qu’elle avait, en rentrant à la villa, jetée sur un fauteuil.

Même regard de Rouletabille sur les épingles.

— Merci ! Voici votre belle-fille.

Natacha arrivait, rose et souriante :

— Ah ! bien, fit-elle, tout essoufflée, vous pouvez vous vanter que je vous aie cherchée. J’ai fait le grand tour par la Barque. La promenade a fait du bien à papa ?

— Oui, il repose, répondit Matrena. As-tu rencontré Boris et Michel ?

Elle parut hésiter une seconde, une seule, et dit :

— Oui, à l’instant…

— Ils ne t’ont pas dit s’ils reviendraient ce soir ?

— Non ! répliqua-t-elle, légèrement troublée. Pourquoi toutes ces questions ?

Et elle rougit davantage.

— Parce que je trouve étrange, riposta Matrena, qu’ils soient partis comme ils l’ont fait, sans nous prévenir, sans un mot, sans faire demander au général s’il avait besoin d’eux. Il y a quelque chose de plus étrange encore. Tu n’as pas vu, avec eux, Kaltsof, oui… le grand maréchal de la cour ?

— Non !

— Kaltsof est venu un instant, est entré dans le jardin et est reparti sans nous voir, sans faire dire non plus un mot au général.

Natacha fit : « Ah !… » et, indifférente, leva les bras et tira l’épingle de son chapeau. Rouletabille regarda cette épingle et ne dit mot. La jeune fille ne semblait plus s’apercevoir de leur présence. Entièrement prise par ses pensées, elle repiqua l’épingle dans son chapeau et alla suspendre celui-ci dans la véranda qui servait aussi de vestibule. Rouletabille ne la quittait pas des yeux. Matrena regardait le reporter, d’un œil stupide. Natacha retraversa le salon et s’en fut dans sa chambre en passant par son petit salon-boudoir, car cette chambre n’avait qu’une porte donnant sur ce petit salon. Quant à cette dernière pièce elle avait trois portes. L’une, sur la chambre de Natacha, l’autre ouvrant sur le grand salon, la troisième sur le petit office qui se trouvait dans le coin d’angle de la maison et où passait l’escalier de service descendant aux sous-sols et montant au premier. L’office avait encore une porte donnant directement sur le grand salon. C’était là, évidemment, une mauvaise disposition pour le service de la salle à manger qui était de l’autre côté du grand salon, une disposition de fortune comme on en voit souvent dans les hâtives installations des maisons de campagne.

Restée seule avec Rouletabille, Matrena vit que le jeune homme n’avait point perdu de vue le coin de la véranda où Natacha avait suspendu son chapeau. À côté de ce chapeau, il y avait une toque que venait d’apporter Ermolaï. L’intendant avait dû trouver cette coiffure dans quelque coin du jardin ou des serres d’où il revenait. À cette toque se trouvait piquée une épingle.

— À qui la toque ? demanda Rouletabille. Je ne l’ai encore vue sur la tête de personne, ici.

— À Natacha ! répondit Matrena.

Et elle voulut s’avancer ; mais le jeune homme la retint, s’en fut lui-même dans la véranda et, sans toucher à la toque, en se haussant sur la pointe des pieds, il examina l’épingle. Il retomba sur ses talons et se tourna du côté de Matrena. Celle-ci découvrit sur le visage de son petit ami une fugitive émotion :

— M’expliquerez-vous ? lui dit-elle.

Mais l’autre lui lançait déjà un regard foudroyant, et, tout bas :

— Vous allez donner des ordres tout de suite pour que le dîner soit servi dans