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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/142

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maudite !… Je ne mangerai que de la cuisine que tu sais faire !… car tu sais faire une très bonne certaine cuisine !… quand tu veux !…

— Parle, petit cadeau de Dieu !…

— Eh bien ! prépare-moi ta vraie cuisine de sabbat, une cuisine aux herbes comme tu sais en trouver, sale petite bonne femme de sorcière !… des herbes qui font oublier !… qui endorment pour toujours !…

— Tu me feras mourir !…

— Crève donc !…

Et elle éclata en sanglots rageurs en se jetant sur son grabat garni de dentelles… Zina éperdue, voulut s’approcher, mal lui en prit. Elle reçut une ruade solide qui l’envoya rouler au bas de la cabane, elle, son pot et sa ratatouille…

À peu près à la même heure, un jeune homme habillé d’un complet à carreaux et coiffé d’une casquette s’arrêtait devant une maison de Temesvar-Pesth, dont la porte à claire-voie était surmontée d’un drapeau ; cette porte était gardée par un agent de la force publique qui refusa de laisser pénétrer le jeune homme. Il en résulta une discussion d’abord, une bousculade ensuite ; le jeune homme passa, le garde cria et tous deux arrivèrent en même temps dans une petite salle malodorante où derrière une table était assis un officier…

L’officier, stupéfait, se leva :

-Que signifie, monsieur ?…

— Monsieur, je suis Joseph Rouletabille !

— Vous seriez le pape que je ne vous laisserais pas entrer chez moi avec ce sans-gêne !…

— Oh ! je sais bien que le pape ne se le permettrait pas, monsieur. Mais moi, je ne suis pas le pape… Je vous ai déjà dit que je suis Joseph Rouletabille… et j’entre comme je peux !…

— Rouletabille ?… Connais pas !…

— Vous êtes le seul, monsieur !…

— Enfin, monsieur, que voulez-vous ?

— J’ai besoin de votre intervention pour délivrer une jeune fille !… Et comme c’est assez pressé, vous m’excuserez si…

— Vous êtes excusé !… Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ?…

— Une histoire de bohémiens !…

— Ah ! ah ! fit l’officier se rasseyant… Une histoire de bohémiens, c’est grave !…

— C’est grave pour la jeune fille qu’ils ont enlevée, monsieur, mais ça n’est pas grave pour vous qui n’avez qu’un mot à dire, un geste à faire… Vous avez sans doute entendu parler de l’enlèvement, par une bande de cigains, de Mlle de Lavardens ?… Tous les journaux ont raconté l’événement…

— Oui, monsieur, je suis en effet au courant… Il paraît même que ces cigains ont retrouvé en Mlle de Lavardens une petite princesse qu’on leur avait enlevée, alors qu’elle était encore en bas âge !…

— Hein, fit Rouletabille, légèrement suffoqué… Vous dites qu’on la leur avait enlevée ?

— Mon Dieu ! il semble bien que c’est ainsi que la chose se présente… j’ai eu dernièrement, à ce propos, une conversation avec le consul de Transbalkanie, car l’événement a fait beaucoup de bruit, en effet,