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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/186

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Hubert rentra dans la chambre de la queyra. Il n’y rentrait pas avec joie. Il imaginait facilement que la clef que venait de lui donner Féodor n’était pas encore celle du bonheur tant attendu. Même s’il n’avait pas été instruit par sa récente conversation avec Odette, il connaissait trop celle-ci pour oser espérer que, de quelque façon qu’il l’abordât, elle allait lui céder.

Userait-il de la brutalité ? C’était sa dernière arme et, en dépit de sa nature fruste, elle lui répugnait. Obtiendrait-il davantage d’un moment de faiblesse causé par l’effroi, par l’épouvante ? Mais il savait qu’Odette n’était faible et fragile qu’en apparence… Alors ?…

Alors il n’était pas venu si loin et il n’en avait pas fait tant pour reculer au dernier moment. Il entra donc, mais c’est bien le cas de dire qu’il n’était pas à la noce !…

Odette était au fond de la chambre, sur le divan où elle s’était jetée, sanglotante après le départ du grand prêtre.

Elle ne pensait déjà plus à Hubert, à qui elle avait dit son fait une fois pour toutes et qui devait comprendre qu’elle ne serait jamais sa femme, mais à Jean qu’elle voulait sauver à tout prix. Quand la porte s’ouvrit, elle espéra voir entrer Zina qui, dans ses derniers moments, s’était montrée sa seule alliée, et fut, cette fois, tout à fait effrayée de voir revenir Hubert.

Celui-ci entrait, sournois et silencieux, et refermait soigneusement la porte à clef, puis lentement se retournait vers elle.

Lentement, elle se dressa, reculant jusqu’à l’angle du mur.

Il s’avançait, la tête basse, le front dur… Elle lui cria, la voix rauque :

— N’approchez pas !… Ne faites pas un pas de plus !

Alors il releva la tête et la vit, ombre noire dans le voile noir que Zina, avant leur expédition dans les sous-sols du palais, lui avait jeté sur les épaules. Sous cette enveloppe funèbre, on apercevait seulement une pauvre petite tête de cire aux yeux immenses, agrandis par l’angoisse de ce qui allait arriver. Hubert dit :

— N’ayez pas peur de moi !

— Je n’ai pas peur de vous !… lui répliqua-t-elle, les dents claquantes d’effroi… Je n’ai jamais eu peur de vous !…

— Odette, si vous le voulez, vous n’aurez jamais d’esclave plus soumis que moi !

— Je ne veux pas d’esclave !… Allez-vous-en !… Pourquoi êtes-vous revenu ?… Je vous ai chassé !… Je ne veux plus vous revoir !… Allez-vous-en ou je crie !

Hubert eut un méchant sourire.

— Vous souriez, lâche !… Ah ! n’avancez pas !… n’avancez pas plus loin que ce tapis… ou je vous jure…

Une longue épingle à tête de rubis retenait son voile… Elle s’en était munie et, écartant l’étoffe qui couvrait son jeune sein, elle avait appuyé la pointe de la fine tige d’acier sur son cœur… Elle ne tremblait plus ! elle n’avait plus peur de rien !… On voyait surtout qu’elle n’avait pas peur de mourir… Ses yeux étaient fixes comme si elle entrait déjà dans la mort… Hubert s’arrêta et s’assit, laissant entendre un gémissement.

— Comme vous me haïssez ! dit-il… Pourquoi ?… Qu’ai-je fait ?… Vous m’aimiez pourtant bien autrefois !…

— Vous êtes le dernier des misérables ! lui jeta-t-elle en continuant d’étreindre son arme improvisée… Que n’avez-vous pas in-