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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/194

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ment qu’aurait pu vous donner le premier domestique venu que vous êtes venu me trouver…

— Non, monsieur Tournesol ! c’est pour vous livrer ce précieux dépôt.

Et Rouletabille lui remit un paquet assez volumineux et soigneusement scellé, sur lequel on pouvait lire : « À remettre, à Paris, directement entre les mains du ministre des affaires étrangères… »

— Sachez, monsieur Tournesol, expliqua de son air le plus calme le reporter, que, depuis mon arrivée dans le patriarcat, il m’a été impossible de communiquer avec le dehors et que, dans le combat décisif que nous allons livrer à la vieille barbarie, nous avons, mes amis et moi, quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de succomber. Grâce à vous, monsieur, mon pays sera instruit du crime qui aura été commis contre trois des siens, et le monde n’ignorera pas comment ont disparu pour toujours M. Jean de Santierne, Mlle Odette de Lavardens et M. Joseph Rouletabille, votre serviteur…

Ému d’une pareille confiance, M. Tournesol allait prononcer quelques phrases mémorables, mais Rouletabille frappait déjà à la porte de Mme de Meyrens. Le commis voyageur le vit entrer :

— Ouais ! il va se passer là du vilain qui ne me regarde pas !… D’esprit, je suis avec ce jeune homme, mais de cœur, je suis avec la dame… Au fond, il m’arrive ce matin quelque chose de très désagréable !…

Et, ne tenant pas à être mêlé davantage à une affaire dans laquelle son bon cœur ne l’avait déjà, pensait-il, que trop entraîné, il descendit au bar, après avoir mis sous clef le précieux dépôt de Rouletabille…

Il avait déjà pris quelques cocktails en poursuivant vaguement ses pensées, quand, par la fenêtre ouverte qui donnait directement sur le tohu-bohu du caravansérail, il aperçut sous une voûte et devant un étalage de soieries Mme de Meyrens qui marchandait une étoffe à un juif syrien.

« Tiens ! se dit Tournesol, l’explication est terminée !… »

Et il se disposait à aller rejoindre la jeune femme, quand il la vit laisser là son juif syrien pour aller toucher à l’épaule un étranger qui avait le plus grand mal à se faire un chemin au milieu de la cohue… Il semblait, du reste, se diriger vers l’hôtel… L’homme et la femme y pénétrèrent aussitôt… Mme de Meyrens avait rabattu son voile et marchait rapidement… Ils passèrent près du commis voyageur sans même le voir, tant ils paraissaient préoccupés. Enfin, il n’y eut plus de doute pour M. Tournesol que Mme de Meyrens conduisait l’étranger dans son appartement :

« Il n’y a que moi qui n’entre pas chez elle ! » se disait le malheureux Tournesol…

Et tout à coup, il se frappa le front :

« Mais je connais cet olibrius-là, moi !… C’est celui qui a ramené la queyra ! Qu’est-ce que Mme de Meyrens peut bien avoir à faire avec cet aventurier ? »

La première chose que Mme de Meyrens dit à Hubert quand elle fut seule avec lui dans son appartement, dont elle ferma soigneusement les portes, ne fut point pour le complimenter :

— Je vous ai fait venir, car je sais ce qui se passe au palais et vous n’y faites que des bêtises !… Vous n’aurez jamais Odette de force, mon ami !…

— Oh ! fit Hubert avec amertume… ni de force, ni autrement, je le crains bien… mais nous nous vengerons !

— Qu’est-ce qu’une vengeance qui ne vous donne pas la victoire ? releva la Pieuvre… Je vais vous donner, moi, le moyen d’obtenir Odette… Vous n’avez qu’à lui dire : « Jean va mourir de la mort la plus atroce… On ne lui épargnera aucune torture ; mais il sera sauvé si tu consens à devenir ma femme !… Je le fais remettre immédiatement en liberté !… »

Hubert avait bondi en entendant ces paroles :

— Pourvu qu’il ne soit pas trop tard !

— Que voulez-vous dire ?

— Callista doit lui faire passer ce matin un pain empoisonné !…