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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/205

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cloches fait entendre sa voix fatale qui ébranle tout le vieux monument. Dehors, le peuple t’appelle ! on s’étouffe dans le temple ! Les cortèges sont prêts et l’encens fume sur les trépieds… Debout, Odette !

Si lourd est son costume qu’on doit la soulever… si faible est son jeune corps qu’on doit la soutenir… Mais soudain, voilà qu’une force singulière la dresse toute droite dans une effrayante rigidité !… Elle semble s’être tout à coup statufiée sous un regard… et ce regard est celui de Zina…

Zina n’est plus qu’une ombre, une pauvre vieille chose qu’un souffle pourrait renverser… mais ses yeux brûlent encore de tant de vie, qu’ils semblent en animer les autres !… Et la vie de ses yeux, elle la donne à Odette ! elle la lui verse dans une communication d’énergie surhumaine… Ses yeux commandent à ce corps immobile et obéissant…

Et maintenant, voilà que la statue se met en marche ! Gloire à la queyra ! Elle arrive pour les noces ! L’époux l’attend !…

Quand elle apparaît sur la dalle sacrée du temple, un peuple en délire fait entendre son effrayant hosannah !…


V. — Mais quelqu’un troubla la fête

Pendant ce temps, Jean, au fond de son cachot, attendait les événements. Il ne désespérait pas. Certains faits s’étaient produits depuis trois jours, qui lui donnaient du courage pour supporter sa hideuse captivité : l’apparition rapide de Rouletabille sous les vêtements du vieillard du grand conseil, les quelques mots qu’il lui avait jetés prouvaient que rien n’était encore perdu et que l’on s’occupait de son salut.

Du reste, les quelques moments qu’il avait pu passer avec Odette lui avaient empli le cœur d’une joie infinie, et si dures qu’eussent été pour lui les heures qui avaient suivi, il en avait gardé un souvenir qui le soutenait étrangement dans son agonie… L’amour apporte en lui une telle force qu’il incline les plus misérables vers un inlassable optimisme…

Aussi bien n’avait-il pas eu tort de désespérer… On avait voulu l’empoisonner… mais Rouletabille était survenu à temps… et maintenant, il recevait assez régulièrement la visite de Zina qui lui apportait de la nourriture, cependant que les gardiens gagnés par Callista la laissaient faire avec une certaine complaisance.

Zina goûtait à ces aliments apportés par elle, lui prouvant ainsi qu’ils étaient inoffensifs et elle ne le faisait pas sans avoir fait entendre certaines paroles énigmatiques où il avait cru démêler que tant de misères auraient une fin prochaine et qu’il serait bientôt réuni à Odette…

La veille elle lui avait dit catégoriquement : « C’est pour demain !… »

Pour demain, quoi ?… La délivrance ?… Évidemment !…

Il n’avait pas revu Rouletabille, mais maintenant, il ne doutait pas qu’il travaillât pour lui, dans l’ombre. Il en était arrivé à ce point qu’il n’entendait plus un pas dans le corridor du cachot sans tressaillir…

Et soudain, il se dressa dans son cachot. Une ombre était contre la grille et introduisait une clef dans la serrure… Il s’étonna de ne pas reconnaître l’ombre de Zina… Qui était donc celle-ci ?… Elle entra…

C’était Callista !

Il laissa échapper une exclamation douloureuse… Mais elle lui disait : « Viens ! »

Il ne bougea pas… Elle répéta :

-Viens ! tu es libre !…