Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/53

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tantôt une petite demi-heure là !… Tu sais, moi, j’ai l’habitude !…

— Tu mens, Rouletabille, tu n’as pas fermé l’œil…

— Eh bien, c’est vrai !… Jusqu’à cette heure, je n’en ai pas « mené large » !… Mais maintenant tu vas voir si j’ai retrouvé toute ma bonne humeur !… Ce brave M. Crousillat et son épileptique greffier de Bartholasse n’ont qu’à bien se tenir ! Il va y avoir de quoi rire et s’amuser !…

— Laisse-moi te suivre, Rouletabille !…

— Non, répliqua le reporter… Je veux que tu restes au Viei Castou-Nou ou tout au moins que tu ne t’en éloignes pas… parce que…

— Parce que ?

— Parce qu’il faut que l’on sache où te trouver !…

— Qui ?

— Quelqu’un qui assurément t’apportera des nouvelles d’Odette !…

— Mais tu es sorcier !…

— Peut-être !… Adieu, Jean !…

Jean le retint encore par un pan de son veston :

— Mais enfin, à moi, Rouletabille, à moi, si vraiment tu sais qui est l’assassin… tu peux bien me dire son nom !…

Le reporter, après avoir hésité un instant, se rapprocha de Santierne et lui murmura quelques mots à l’oreille… Après quoi, il s’envola, laissant Jean complètement abruti…


III. — Le sommeil de Pandore

Complicité ? Voilà le mot que se disait tout bas Rouletabille, lorsqu’il se trouva dans la propriété d’Hubert après avoir sauté le mur qui séparait le Viei Castou-Nou de « la Cabane », car les magistrats avaient condamné la porte mitoyenne. Jusqu’alors, il n’avait pas perdu une minute, courant à ce qu’il estimait le plus pressé. Mais, depuis la première heure, il avait pensé qu’une perquisition sérieuse chez Hubert, même non coupable lui pourrait être de la plus grande utilité.

Et puis il avait eu ses raisons pour ne pas se presser… Le juge d’instruction, M. Crousillat, poussé par son greffier Bartholasse, qui avait une sainte horreur de Rouletabille en particulier et des journalistes en général, s’était opposé à ce qu’il pénétrât dans la maison. Les scellés avaient été apposés sur la porte de la pièce où l’on avait trouvé tant de charges contre cet Hubert que Rouletabille défendait à la stupéfaction de tous… De plus, M. Crousillat avait mis là deux gendarmes qui avaient l’ordre formel de ne laisser approcher personne… et de surveiller la maison…

Une fois déjà, Rouletabille avait vu se dresser devant lui les deux cerbères… Il n’avait pas insisté… Il voulait les laisser peu à peu se relâcher de leur garde.

Enfin il avait choisi, pour pénétrer chez Hubert, la première heure du jour, parce qu’il avait observé que le gendarme de veille à ce moment-là cédait à la fatigue et au sommeil. Bref, trouvant le moment favorable, il fit le tour de la maison et arriva, sans être surpris, à un soupirail dans lequel il se glissa… Cinq minutes plus tard, de soupirail en tabatière et de tabatière en œil-de-bœuf, il se trouvait dans le bureau d’Hubert… À travers la porte scellée, il entendit un ronflement sonore et régulier. C’était Pandore qui veillait…