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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/86

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gênée, je vous assure, un peu intimidée… je préfère vous le dire comme je le pense, cela vaut mieux assurément et ces messieurs me pardonneront… mais j’aurais désiré vous entretenir en particulier…

— Vous pouvez parler devant ces messieurs qui sont de bons amis à moi et pour qui je n’ai aucun secret : permettez-moi, madame, de vous présenter M. le juge d’instruction Crousillat et son greffier, M. Bartholasse.

Puis se tournant vers ses messieurs et désignant la visiteuse :

Mme de Meyrens.

Le directeur venait de lire ce nom sur la feuille préfectorale lui recommandant cette anthropologiste distinguée…

Le visage de Mme de Meyrens exprimait la plus vive satisfaction.

M. le juge d’instruction ! M. le greffier ! Oh ! mais alors ! je puis parler !… nous sommes entre nous !… Voilà ce que j’avais à vous dire, monsieur le directeur, mais qu’il soit bien entendu, n’est-ce pas ? que je vous confie un secret d’État, en vérité ! ajouta-t-elle avec son plus séduisant sourire… Eh bien ! (elle regarda du côté de la porte comme pour s’assurer que l’on ne pouvait pas l’entendre) eh bien !… je ne suis pas une anthropologiste du tout ! et si je vous apporte cette feuille officielle, monsieur le directeur, c’est pour que vous soyez à couvert, comme vous dites dans l’administration et pour que le règlement n’ait pas à souffrir, je pense ! Voici, monsieur le directeur, ce que je suis…

Et elle tira de son corsage une enveloppe qu’elle tendit à M. Mathieu.

Celui-ci sortit de cette enveloppe d’importants papiers dont un passeport avec la photographie de Mme de Meyrens et plusieurs documents qui portaient l’en-tête du service de la sûreté générale. À tous ces papiers était jointe une lettre récente du directeur de la sûreté générale qui sembla produire sur lui un effet décisif… Il présenta cette lettre à M. Crousillat en disant :

— Eh bien ! monsieur le juge, vous qui cherchiez un mouton, vous voilà tout servi !

— Seulement, fit Mme de Meyrens, ce sera une moutonne… Non ! on ne dit pas en français !… comment dit on en français la femelle du mouton ?… Ah ! parfaitement… brebis !… une petite brebis !… je serai votre petite brebis !…

Il résultait des documents authentiques que ces messieurs avaient en main, que la haute police de Paris envoyait un de ses plus intelligents agents, Mme de Meyrens, à Arles, pour y « cuisiner » les deux bohémiens prisonniers et tâcher de leur tirer quelques paroles susceptibles d’orienter les recherches de la police qui avait perdu toute trace de Mlle de Lavardens… Nous savons que de son côté la douane des frontières, mise en branle par Rouletabille, n’avait pas été plus heureuse.

Un quart d’heure plus tard, Mme de Meyrens était introduite dans la cellule de Callista…

Celle-ci avait eu la plus grande peine à dissimuler son effarement en voyant apparaître, dans la nouvelle prisonnière qu’on lui donnait pour compagne, la Pieuvre !…

— Je viens vous sauver ! lui dit Mme de Meyrens dès qu’on les eut laissées seules toutes les deux…

Et elle laissa tomber de dessous ses vêtements une vareuse, une salopette de maçon, maculée de plâtre et une casquette…